Wass O. 21/07/2023

Moi, Français expatrié à Tanger

tags :

Les parents de Wass se sont installés au Maroc quand il était tout petit. Il a mis du temps à apprivoiser ce pays, mais aujourd'hui il fait partie de lui.

Par opportunité professionnelle, mon père s’est expatrié à Tanger pour une mission de six mois, quittant ainsi la pluie de la Haute-Savoie pour le soleil tangérois. J’avais à peine deux ans. Mon père revenait à son pays d’origine, mais avec lequel il n’avait plus aucun lien. La mission de mon père a été renouvelée trois fois, et il a donc vécu à Tanger pendant un an et demi. C’était plus bénéfique pour sa carrière, sur le long terme, de prolonger son expatriation au Maroc. C’est ainsi qu’il changea mes aller-retours à Tanger en un aller simple pour y habiter. En grandissant, j’ai saisi de plus en plus les enjeux de mon expatriation.

Mes parents ont décidé de m’inscrire dans le système scolaire privé marocain, pour que j’apprenne dès le jeune âge à parler arabe. Mon père, lui, ne savait pas le parler à son arrivée, ce qui provoqua au début quelques incompréhensions avec les locaux. Prénommé Mohamed et ayant le teint d’un maghrébin, ils trouvaient ça curieux. Mes parents voulaient donc éviter cela pour moi.

Un diplôme moins reconnu

Mais faut pas déconner, j’allais pas faire toute ma scolarité dans une école marocaine ! La reconnaissance du diplôme marocain est beaucoup moins importante à l’étranger ; j’aurais donc été perdant au change si je continuais dans le système marocain. Réintégrer le système français, en plus le réseau des lycées français à l’étranger était, par contre, beaucoup plus avantageux ; ils sont très bien réputés, que ce soit en France ou à l’international. Il aurait été donc vraiment déconnant de ne pas profiter de cette occasion, et puis l’objectif de mes parents, qui était que j’apprenne à parler arabe couramment était atteint.

J’ai réintégré le système français en CM1. Mais là aussi, j’avais l’impression qu’un gouffre nous séparait avec les Marocains. J’avais des amis dont les parents étaient expatriés (des Allemands et Canadiens) et d’autres élèves étaient tangérois. Rien que pour inviter des amis c’était la galère, surtout en groupe mixte ; à chaque fois les parents de quelques amis refusaient de les laisser sortir. C’était systématique et apparemment normal ! À part les expatriés, les parents des autres élèves n’avaient pas cette culture de laisser l’enfant s’épanouir librement avec ses amis. Tout était ordonné et strict au possible, ce qui rendait tout compliqué. Forcément, je passais plus mon temps avec les élèves expatriés qu’avec les locaux.

Tout ça a joué sur ma manière de percevoir Tanger et comment j’ai vécu à ce moment-là cette expatriation. Au début, j’en voulais un peu à mes parents, un peu beaucoup même, parce qu’il n’y avait rien à faire à Tanger (vers les années 2010) et surtout personne. Je m’étais habitué à mes amis d’Avignon, à voir mes grands-parents et tout le reste de la famille tous les jours, et ils me gâtaient beaucoup.

La ville s’est transformée

Au fil du temps, Tanger s’est énormément améliorée, ce qui a attiré encore plus d’expatriés et de touristes. Les autorités locales ont modernisé la ville, et Dieu merci. Mon inscription à l’école Berchet, école primaire française à Tanger, et ensuite au lycée Regnault pour le collège-lycée, ont aussi contribué à mieux vivre cette expatriation. Car, même si le lycée français ce n’est pas la France, l’état d’esprit s’en rapproche, et est complètement différent du système scolaire marocain concernant les « libertés individuelles ».

C’est ainsi que j’ai découvert Tanger, d’abord en la détestant puis en l’aimant, je l’ai vu changer et grandir avec moi. Tanger est devenue une ville vivante, multiculturelle et j’en fais l’expérience tous les jours. Cette année, j’ai fait du bénévolat dans le cadre d’une mission culturelle qui se déroulait à la Kasbah (vieille ville de Tanger), où plusieurs lieux d’habitude fermés au public, ont ouvert leurs portes aux curieux et aux artistes. Des performances de danse contemporaine sur le thème de l’exil, de la peinture, de la musique et plein d’autres choses. J’étais hôte d’accueil, je devais expliquer notre mission aux touristes, leur distribuer des tracts et leur expliquer le but de cette mission.

Je me suis donc retrouvé à parler dans la même journée français, anglais, espagnol et arabe, car franchement il y avait des touristes du monde entier, et même des locaux ! J’y ai participé avec des amis et on a passé une bonne journée. Cette journée symbolise tous les efforts effectués pour remettre Tanger à la place qu’elle mérite ; une ville internationale, qui sait s’ouvrir sur autrui tout en gardant son identité. Finalement, cette expatriation est devenue l’une des meilleures décisions de mon père. Ce que j’ai vécu à Tanger, je ne l’aurais certainement pas vécu ailleurs, car aucun ailleurs ne ressemble à Tanger.

Je ne vais pas rentrer en France

Aujourd’hui, il me reste plus qu’un an avant d’avoir mon baccalauréat et de choisir où commencer mes études supérieures. Pendant longtemps l’idée assez logique que j’avais était de revenir en France, pour rentrer chez moi. Mais finalement au vu des événements actuels, le climat social tendu en France, le déclassement économique du pays, mon père et moi avons remis en cause ce choix. D’abord j’ai songé à Montréal, ville francophone avec de très bonnes universités et un cadre de vie agréable, puis finalement Genève et de manière générale la Suisse romande (francophone), pour exactement les mêmes raisons, mais en mieux. La qualité de vie est idéale, les universités au top et nous ne pouvons pas dire que le climat social y soit tendu. En plus j’y vais souvent à Genève et je me projette bien d’y vivre, c’est une ville parfaite, même si elle est complètement différente de là où je vis.

Wass, 18 ans, lycéen, Tanger (Maroc)

Partager

Commenter