François S. 28/08/2023

Pas habitué à être le seul Blanc

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Là où François a grandi, il y avait surtout des Blancs. Arrivé en région parisienne, il a découvert une diversité qu’il ne connaissait pas.

Au départ, Paris me faisait peur. Il y a du monde, c’est gigantesque et c’est un autre univers. Pour moi, c’était ça avant d’être une ville multiculturelle. J’ai découvert Paris lors d’une journée d’admission, au tout début de mes études. J’y étais déjà venu, mais uniquement dans des lieux touristiques, pas des lieux de vie. Je devais repartir dans la Sarthe le lendemain matin, et je dormais chez mon cousin, à Vigneux-sur-Seine dans l’Essonne.

J’ai pris le RER. J’avais déjà côtoyé des personnes à la peau noire, à l’école ou dans les chantiers de jeunes bénévoles. Mais ce qui m’a fait une sensation bizarre en allant chez mon cousin, c’est d‘être dans un wagon avec que des Noirs, et deux ou trois personnes blanches. D’habitude c’est l’inverse. Inconsciemment, ça n’allait pas. Mon vécu faisait que je m’en méfiais alors qu’il n’y avait pas de raison d’avoir peur. Je n’étais pas très à l’aise, ce qui n’est pas vraiment explicable car je ne me préoccupe pas de ce genre de choses d’habitude. Je n’étais juste pas habitué.

Chez moi, il y a peu d’étrangers

J’en ai discuté un peu avec mon cousin plus tard, et on est tombés d’accord sur le fait que certaines personnes de la famille auraient fait des commentaires déplacés. Je les imagine avec leurs remarques et leurs raccourcis sur le ton de la blague. J’ai un père et une grand-mère qui seraient capables, selon les personnes auxquelles ils en parlent, de dire que la ville où vit mon cousin est un ghetto. Alors que c’est juste une ville où vivent beaucoup de personnes d’origine africaine.

Chez moi, dans la Sarthe, c’est occasionnel de croiser une personne d’origine étrangère. Je suis né au Mans et j’ai grandi dans un petit village de quelques centaines d’habitants. J’étais dans l’école de la petite ville de quelques milliers d’habitants du coin. J’ai eu des camarades antillais, africains ou asiatiques. Certains étaient des enfants adoptés. En général, ils le disaient d’eux-mêmes, puis on passait à autre chose. Je m’en cognais pas mal de fréquenter des personnes d’origine étrangère. J’étais surtout curieux au premier abord, et après je ne les embêtais plus avec ça, ou alors c’était pour savoir s’ils étaient déjà retournés dans leur pays d’origine. J’étais un peu curieux de savoir comment c’était là-bas.

Des saisonniers plutôt bien vus

Dans la Sarthe, les personnes étrangères sont bien intégrées et il n’y a pas de problème avec elles. Elles nous font plutôt nous dire que les Français sont des fainéants. Chez moi, il y a pas mal d’exploitations fruitières et beaucoup de saisonniers sont étrangers. Chaque année, les exploitants recherchent du monde pour la cueillette des pommes. Ce qu’ils demandent, c’est des personnes motivées et efficaces, et comme il n’est pas nécessaire d’avoir de diplôme pour savoir cueillir une pomme, ils prennent tout le monde.

Une fois, ma grand-mère a eu une altercation avec un homme de couleur noire dans notre exploitation fruitière. Il avait mal fait son travail en pleine cueillette des pommes. Elle lui a dit qu’elle n’était pas « son petit nègre ». Pour elle, le but n’était pas d’insulter mais le mal était fait. L’homme l’a entendu, l’a pris pour lui, et a interpellé ma grand-mère. Il me semble qu’il avait menacé d’arrêter de travailler et de ne pas revenir, en disant qu’il n’était pas là pour se faire insulter.

Je ne sais pas pourquoi ma grand-mère a utilisé cette formule. Ça lui a probablement échappé, même si un mot comme « bonniche » aurait plus eu sa place ici. Quand elle me raconte ça, j’ai tendance à hausser les épaules. Je ne vais pas passer mon temps à moraliser ma grand-mère. Et en même temps, j’acquiesce sur le fait que c’est proscrit de dire ça. Ça reste une insulte forte, lourde de sens, à cause de la référence historique qu’elle a.

Des propos racistes dans ma famille

Dans ma famille, on est assez conservateurs : on a une éducation traditionnelle catholique, on est baptisés pour la plupart, et mariés à l’église. On estime être dans un pays laïc, mais avec une culture et des valeurs catholiques. Dans ma famille, ils ont le sentiment qu’on nous envahit, que les gens ne s’adaptent pas à leur culture quand ils voient une femme porter le voile dans la rue. « On est en France, pas dans un de leurs pays » ; « Ils pourraient faire un effort ». Les Français d’origine africaine ou du Maghreb sont facilement casés comme de la « racaille » à cause des faits divers et des attentats. Dans ma famille, l’affaire Samuel Paty a choqué. Ils ont l’impression que les musulmans veulent imposer leur version des choses, et qu’ils prennent la moindre critique comme une attaque à l’islam.

Pour moi, le grand saut a débuté quand j’ai eu mon premier logement parisien, juste à côté de la Porte de Montreuil. Un quartier habité par beaucoup d’Africains et de Maghrébins. J’y ai découvert les Roms et les vendeurs à la sauvettes, avec le déballage d’articles sur le trottoir. J’y ai découvert les mariages et les autres événements qui ne sont pas de ma culture. Ça me fait toujours regarder par la fenêtre quand ça arrive. Comme je ne connais pas, je suis curieux. À l’un de ces mariages, il y avait des personnes typées maghrébines et il y avait un drapeau. Après une recherche rapide, j’ai compris que c’était un mariage kabyle. Du moins, ça m’en avait tout l’air.

Depuis mon arrivée à Montreuil, j’ai rencontré beaucoup de personnes d’origines étrangères. Celles avec lesquelles je me suis entendu ne sont pas si différentes des personnes que je côtoyais dans ma région d’origine. Quand je parle de mon école actuelle à ma grand-mère, je lui fais remarquer qu’il y a pas mal de personnes d’origine asiatique, africaine et maghrébine. Elle en revient toujours à la même conclusion, que c’est complètement différent de ma région natale.

François, 25 ans, en formation, Montreuil

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