Logan A. 21/07/2023

Je veux qu’on nous croie quand on raconte ce qu’on vit

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Logan a été victime d’attouchements par son chef. Né assigné « elle », il décide alors de se genrer avec le pronom « il ».

Pendant ma première année de CAP pâtisserie, j’ai vécu l’enfer. Au début, j’ai cru que j’allais vivre « ma meilleure vie » : pour moi allier école et travail était la meilleure chose qui puisse m’arriver. Mais tout s’est vite effondré. Quand j’ai décidé de faire un CAP, c’était une sorte de libération, j’allais enfin pouvoir être indépendant financièrement tout en allant en cours. J’ai donc commencé mes recherches pour pouvoir trouver une entreprise qui voudrait bien me prendre en apprentissage, et j’en ai trouvé une assez rapidement. En allant poser mon CV, la seule employée présente m’a dit que les patrons étaient « adorables » et que ça allait être un super endroit pour apprendre. C’étaient des conneries.

Je suis revenu le lendemain pour parler avec le patron et j’ai été pris en essai deux jours. Tout s’est bien passé, il a accepté de me prendre en apprentissage, j’étais aux anges face à cette nouvelle. Ma nouvelle vie pleine d’espoir et le début de mon séjour en enfer venaient de commencer.

Les premières semaines se passaient super bien, j’étais docile, je montrais que j’avais envie d’apprendre des choses et j’étais motivé. J’ai fait ce qu’un patron veut voir chez son apprenti. Enfin, c’est ce que je croyais.

Je faisais du bon travail, mais jamais assez bien pour lui. Je faisais de mon mieux pour vite évoluer et ça semblait le satisfaire : il est devenu de plus en plus sympa avec moi, puis beaucoup trop. Je rigolais de plus en plus avec mon patron et les employés. Pour moi j’étais intégré au sein de l’équipe, je ne pouvais pas rêver mieux.

Il soufflait le chaud et le froid

Mais du jour au lendemain, tout ça a disparu. Il est devenu froid et blessant, mais je me suis dit que c’était sûrement normal, que « tous les patrons étaient comme ça ». À ce moment-là, il a commencé à me donner de plus en plus de travail et à réduire mon temps de pause, mais à nouveau, je me suis dit que c’était « normal ». Ensuite, il est redevenu adorable avec moi et ça m’a rassuré. Puis on a recommencé à rigoler ensemble, mais de manière assez vulgaire et inappropriée. Mais toujours, pour moi c’était normal parce que j’ai toujours eu un humour un peu déplacé. Aujourd’hui je regrette, je regrette d’avoir été aussi con et de l’avoir laissé rigoler comme ça avec moi.

Après cette période où tout était rose, la noirceur est vite revenue, il a recommencé à être froid et il a augmenté ma charge de travail. Puis le moment est venu où mes pauses ont disparu. Je travaillais non-stop.

Et là, en plus du surmenage, les attouchements ont commencé. Bordel c’était déjà pas assez ce que j’étais en train de vivre ?

Une main au cul par ci, une main sur les seins par là… Je ne lui ai rien dit parce que la peur a pris le dessus. Il a dû prendre ça comme une invitation parce qu’il a commencé a se frotter contre moi, à me coller contre lui, à me regarder quand je me changeais… ensuite il a commencé à faire des remarques sur mon physique, comme « Bah putain t’as une belle poitrine pour ton âge! Tu mets des habits moulants pour que je te regarde ? », « Ton pantalon il te fait un gros cul j’aime trop »« Oh tu montes à cheval, tu veux pas me monter ? »… Ce n’est qu’une toute petite partie des commentaires que j’ai reçus.

Fini les huit mois d’enfer

J’ai commencé à venir au travail la boule au ventre et les larmes aux yeux, mon rythme de travail ralentissait de plus en plus, mon anémie augmentait à cause de mes règles qui devenaient de plus en plus irrégulières. Je manquais de faire des malaises car mon rythme de vie était complètement déréglé à cause du travail intensif. Même quand j’allais mal je n’avais pas le droit de prendre deux minutes de pause sinon on me hurlait dessus et on me rabaissait. J’ai tenu quelques mois et ensuite il m’a viré parce que j’ai osé prendre une pause, et que je ne l’ai pas écouté quand il m’a dit de me remettre au travail. C’était le plus beau jour de ma vie, ces huit mois d’horreur étaient finis et j’allais enfin pouvoir revivre.

Depuis cette expérience, j’évite d’aller à Martigues de peur de le croiser et de me rappeler tous ces traumatismes. J’ai peur quand un homme se met derrière moi parce que j’ai l’impression qu’il va me toucher, j’ai changé de style et j’ai arrêté le sport pour ne plus avoir de remarques dans les vestiaires.

Aujourd’hui je vais mieux mais je ne m’en remettrai jamais, écrire ce texte me tenait à cœur parce que j’ai appris que je ne suis pas seul à vivre ça, et je suis sûre que plein d’autres personnes le vivent mais n’osent pas en parler. Je pensais que j’étais seul. Je veux que les gens sachent les horreurs qu’on peut vivre en milieu professionnel et qu’on commence à nous croire quand on raconte ce qu’on vit.

Être un garçon, ça m’aide

Concernant ma transition, je me sens bien mieux aujourd’hui. Je crois que j’ai un peu toujours su, mais je commence à le comprendre depuis le confinement. C’est définitif, je suis un garçon. J’attends de pouvoir partir de chez mes parents pour l’assumer en public. À des personnes de confiance, en Facetime, j’ai osé le dire pour la première fois. J’avais encore les cheveux longs, avec un côté rasé. Un de mes amis a dit « on dirait un mec », et j’ai osé répondre : « ben oui c’est ce que je suis ». J’ai quand même stressé en le disant, mais je me suis dit  « Vas-y, dis le, lance toi, tu les connais depuis 10 ans ». Et ça a été bien reçu.

Certains ne font pas d’efforts pour que je me sente bien, d’autres sont plus ouverts. Au lycée, je ne l’ai dit qu’à une seule camarade. Je le dirai jamais aux profs, je sais qu’ils ne sont pas prêts, ils veulent pas se renseigner sur le sujet. J’aurais trop peur qu’ils le disent à mes parents. Je dois tenir encore un an, après je ferai ma vie.

Je pense que d’être un garçon, ça m’aide, ça me protège, ça repousse les gens. Je m’habille différemment. Avant je faisais juste comme les autres, mais ça ne m’allait pas du tout, je ne m’aimais pas. Je ne porte que des sweats larges, des boxers, ma mère ne me pose pas de questions.

Même à des amis de la communauté LGBT, parfois je ne me sens pas de le dire, j’ai pas confiance. Il y a deux semaines j’ai rencontré un mec sur Insta, il m’avait repéré, on se voit au bar, il me dit « je t’aime », déjà. Moi j’ose pas lui dire que je suis un garçon.

Quand les gens me disent « elle », je fais comme si de rien n’était, mais ça me dérange. C’est comme si on parlait pas de moi. Je fais semblant. Je ne veux pas qu’ils sachent. Quand je serai seul, j’aimerais bien prendre des hormones.

Je veux m’installer à Angers avec une copine, je ne sais pas pourquoi, sûrement parce que c’est loin et que je ne connais personne, ouvrir un bar et tout recommencer à zéro. Le plus loin possible d’ici.

Logan, 18 ans, lycéen, Port-de-Bouc

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