La violence de mon père, j’en mesure encore les effets
Quand j’étais petite, je n’avais aucun mal à appeler « Papa » celui que j’appelle aujourd’hui « lui ». Lorsqu’un homme donne des coups de pieds dans le ventre de votre mère, lui casse le nez en lui laissant cinq fractures, la menace de mort et j’en passe… L’appelleriez-vous encore « Papa » ?
Ma mère n’a ni famille, ni amis et ne pouvait pas travailler avec ses problèmes de santé. Elle était donc contrainte de rester avec lui, pour élever ses deux bébés.
Il la battait souvent. Je me souviens avoir assisté à une scène où mon père l’a poussé violemment. En tombant, elle s’est pris le coin de la table dans le dos. J’ai eu très peur. Je me disais qu’il n’avait pas de cœur pour la traiter comme ça, ça m’a rendu très triste. Je ne me suis jamais interposée quand ma mère se faisait frapper, j’avais peur de me faire frapper aussi.
Son emprise sur nous a duré des années
Mon père a manipulé, et gâché la vie de ma mère pendant plus de 11 ans. Il lui disait que sans lui, elle n’y arriverait pas, qu’elle ne réussirait pas à nous élever seule, et qu’elle finirait dehors. À force de lui dire ça, elle a fini par y croire. Il a détruit une partie de sa vie, et par la même occasion, nous a créé des traumatismes à ma sœur et moi.
Ça a eu beaucoup de répercussions dans mon adolescence et dans le commencement de ma vie de jeune adulte. J’avais peur de faire confiance, je m’isolais de tout le monde. Il a gâché notre enfance.
Conséquences sur ma vie amoureuse
La peur terrible de perdre ma mère s’est transformée en dépendance affective. Je cherchais l’amour d’un père à travers mon « amoureux ». Amoureux qui s’est finalement révélé manipulateur et pervers narcissique. Il a joué de mes sentiments et de ma dépendance. Je suis restée bloquée sur lui pendant six ans, j’avais que lui en tête. Je ne vivais que pour lui.
À force, j’ai eu un déclic. J’ai ouvert les yeux sur la manière dont il me traitait, par rapport à quelqu’un de vraiment amoureux. J’ai réussi à me détacher de son emprise.
Après cette relation désastreuse, j’étais bloquée quand je m’imaginais retomber amoureuse de quelqu’un. J’avais peur de tout recommencer à zéro, de tomber sur quelqu’un qui profiterait encore de ma dépendance affective.
Arrêter l’école pour rester avec ma mère
En 2014 j’ai arrêté d’aller au collège. J’étais en quatrième. J’avais peur que mon père sonne chez moi, quand j’étais en cours. J’avais peur que ma mère cède, qu’il revienne dans notre vie et qu’il recommence à la frapper. J’avais même peur qu’il la tue. Je me disais : tant que j’étais chez moi avec ma mère, il n’entrerait pas et elle serait en sécurité.
J’ai arrêté les cours à cause de tout ça, et je n’ai pas repris. Par conséquent je n’ai pas pu passer mon bac, et aujourd’hui ça m’empêche de faire beaucoup de choses. Aujourd’hui, j’ai décidé de me prendre en main et de faire une formation pour devenir secrétaire administrative ou vendeuse en animalerie.
La fin de mon cauchemar
Un jour tout ça s’est arrêté. Il a frappé ma sœur. La cause : elle était sortie dehors en débardeur. Ma mère a eu le courage de dire stop, c’était la fois de trop.
Elle a attendu qu’il sorte de la maison, a verrouillé la porte et a appelé la police. Ils sont arrivés pour l’emmener… et plus de nouvelles. Il est revenu quatre ans plus tard, pour reprendre contact avec moi.
Je ne sais pas si je dois lui pardonner ou non. Quand je le vois, je me dis qu’il aurait pu être un père normal.
Du côté de ma mère, c’est une nouvelle femme. Elle a sans doute perdu énormément d’années avec mon père, mais aujourd’hui elle ose dire « non ». Elle nous a élevées dans des conditions impossibles. Jouer le rôle du père était difficile, mais mission réussie grâce à son amour plus fort que tout. Sans elle, je ne sais pas ce que je serais devenue.
C’est la femme la plus forte et courageuse que je connaisse, et elle le restera à jamais.
Soumaya, 21 ans, en recherche d’emploi, Paris