Mon voyage jusqu’en France m’a appris la vie
Mon voyage m’a fait apprendre plein de choses de la vie que je ne connaissais pas. Des bonnes, et des moins bonnes.
Le jour où, à 15 ans, j’ai quitté mon village pour voyager, j’ai vu notre capitale Bamako et j’ai vu beaucoup de monde, des gens se regrouper en discutant de choses de la vie que je n’avais jamais vues. Moi, j’ai toujours voulu aller en France pour faire mes études. Mon oncle mauritanien m’a fait bouger depuis mon village jusqu’à la frontière avec l’Algérie. C’est lui qui a payé les passeurs, mais lui est resté là-bas, il ne voulait pas venir.
A mon arrivée en Algérie, je n’avais jamais vu de passeur. Après, j’en ai vu plein, à chaque frontière. Ils sont très durs avec les gens, ils donnent des ordres, on doit faire ce qu’ils disent, sinon ils nous frappent. Je n’avais jamais vu une barrière entre deux pays, ça m’a appris que la vie c’est pas facile, il faut du courage.
Sur la route, j’ai rencontré des gens bien
J’ai rencontré de bonnes personnes qui m’ont donné ce courage. Quand j’étais à Nador, la ville du Maroc qui est à la frontière avec l’Espagne, j’étais dans la forêt. Ça m’a fait peur car le premier jour, j’ai vu des gens qui ne parlaient pas ma langue et j’ai vu des gens qui se bagarraient. J’ai vu plein de sang sur la terre. Ça m’a fait tellement peur !
C’est là que j’ai rencontré un ivoirien avec sa femme, ils voyageaient aussi. On s’est trouvés dans la forêt. Il m’a fait sourire, tout le temps, pour oublier. Et il m’a donné du courage et des conseils : « C’est le travail qui paye », « Toutes les choses qui te sont arrivées, c’est le destin », ou encore « Ne fume pas de cigarettes, ne traîne pas avec les mauvaises personnes, respecte les gens ».
Finalement, je suis entré avec eux en Espagne. On a pris un petit bateau ensemble de Nador jusqu’à Melilla, la ville d’Espagne en Afrique, au Maroc. Puis c’est la Croix-Rouge espagnole qui nous a mis dans un gros bateau jusqu’à Malaga. Ils nous ont mis dans un camp et j’ai été séparé de mes amis ivoiriens à ce moment-là. Je suis resté en Espagne pendant cinq mois, ou plus. Les gens des associations m’ont aidé à apprendre la langue et le droit de leur pays : ce qu’on peut faire ou ne pas faire, là où on peut entrer ou pas.
C’est là-bas que j’ai commencé une nouvelle vie. Je discutais avec les gens et j’ai appris à connaître les autres personnes. Puis j’ai fait une nouvelle coupe de cheveux ! Finalement, je suis venu en France par le bus le 25 décembre 2017. Deux jours de route pour arriver directement à Paris.
Mon voyage était comme mon professeur
A Paris, un ami de mon oncle m’a amené dans un foyer pour les étrangers. Ils m’ont traité comme leur esclave. Je payais rien, mais je cuisinais pour tout le monde et je faisais le ménage. On dormait pas pendant la nuit : on avait pas de place, moi j’avais pas de lit. Le reste du temps, je faisais rien.
Mais, grâce à mon frère, j’ai rencontré une fille française qui m’a aidé. Mon frère a deux ans de plus que moi et il est arrivé en 2015 en France. Maintenant, il fait des études à Nantes où il a rencontré sa professeure de français. Elle m’a présenté ses parents qui habitent près de Paris et elle m’a montré des associations où me présenter, comme la Croix-Rouge. Elle m’a dit de quitter le foyer, que j’étais pas venu pour rester là-bas. Elle m’a dit que je pouvais aller voir l’Aide Sociale à l’Enfance pour faire mes études et réussir ma vie.
C’est eux aussi qui m’ont expliqué que quand je rencontrais une personne plus âgée, je n’avais pas à baisser la tête comme je le faisais avant. Au foyer, ça m’arrivait souvent, tout le temps même. C’est eux aussi qui m’ont montré de nouvelles traditions, comme la danse, ou les plats.
Son long voyage vers la France, Moudji l’a commencé en Guinée à l’âge de 12 ans. Seul et sans argent, il a passé une partie de son adolescence à traverser des frontières.
Je suis allé à la Croix-Rouge, ils m’ont dit d’aller voir le juge. Le juge m’a donné une ordonnance provisoire pour m’accueillir. Avec cette ordonnance provisoire, je peux faire mes études et avoir mes droits. Je peux aussi aller dormir à l’hôtel. Maintenant, ça fait deux semaines que je suis à France Terre d’Asile. Je prends des cours de français tous les matins.
Pendant ce voyage, j’ai appris à me méfier des passeurs. J’ai appris qu’il y avait des barrières entre les pays. J’ai appris des mots d’espagnol. J’ai appris que mon pays avait de grandes différences de culture avec la France. Mon voyage était comme mon professeur. J’ai vu tant de choses, appris tant de choses, que je n’aurais jamais connu ailleurs dans ma vie.
Yugo, 17 ans, lycéen, Paris
Crédit photo Flickr // CC Oxfam International