Expulsée, j’ai pris conscience de ma pauvreté
À 8 ans lorsque ma famille a été expulsée j’ai compris la frontière entre les riches et les pauvres. C’était en juin et nous étions chez « nous ». Vers 18h, quelqu’un a toqué. On croyais que c’était mon oncle qui venait à l’improviste comme il le faisait de temps en temps. Sauf que lorsque je suis allée ouvrir, c’était un homme en costume noir avec une dame en chemise blanche et jupe noire. J’ai voulu fermer, car je ne les connaissais pas mais ils ont poussé la porte. Heureusement, l’entrebâilleur les a bloqués.
J’ai poussé un cri. Ma mère était dans la cuisine. Elle est venue leur demander ce qu’ils voulaient. Ils ont répondu qu’ils étaient de l’agence d’expulsion. Mon père n’était pas là. Il ne pouvait pas intervenir. Ma mère, anxieuse, leur a ouvert. Ils sont entrés en poussant la porte et en heurtant le berceau de ma petite sœur. Comme elle pleurait, je l’ai prise dans mes bras pour la calmer et la rassurer. Ce n’était pas facile. Elle était petite et elle ne comprenait pas ce qu’il se passait. Même moi, je ne comprenais pas. Ma mère m’a demandé d’appeler la police. Ce jour-là, j’ai pensé que je ne servais à rien car je ne connaissais pas le numéro de la police. À ce moment-là, le monsieur a bousculé ma mère. Je lui ai crié : « Vous n’avez pas le droit de toucher à MA maman !!!!! » et je lui ai écrasé les pieds. Il a poussé un gémissement de douleur, a marmonné des injures, mais je m’en fichais. Je l’avais prévenu. Ils sont partis, mais nous n’étions pas rassurées pour autant.
« Qu’est-ce-que ça fait de se faire jeter à la rue ? »
Le lundi suivant, je suis allée à l’école comme si de rien n’était, mais anxieuse puisque je savais qu’ils pouvaient nous « mettre dehors » quand ils le voudraient, sans nous prévenir. Arrivée dans la cour de récréation, une bande de petites « bourgeoises » est venue me voir. Une des filles qui était dans le clan (je pense que c’était le leader) m’a dit : « Qu’est-ce-que ça fait de se faire jeter à la rue ? ». Je lui ai demandé comment elle le savait et elle m’a demandé si je savais qui étaient ses parents. J’ai compris que c’était l’un des parents de la fille qui était venu chez nous. Je me suis dit que ses amies devaient aussi le savoir. Je me suis retournée et suis partie d’un pas décidé vers mes amis pour ne pas laisser paraître que ses paroles m’avaient beaucoup blessée.
Je n’en ai parlé à personne : chaque jour, elles venaient me voir et, chaque jour, elles me rabaissaient. Mais je gardais la tête haute. Lorsque je rentrais et que mes parents me demandaient si l’école se passait bien, je répondais toujours positivement sans leur raconter ce qu’elles faisaient quotidiennement. Plus les jours et les semaines passaient et plus je m’habituais à leurs commentaires, à leurs remarques déplacées qui se répétaient sans cesse.
Heureusement, certains de mes amis qui étaient au courant, me rassuraient : ces filles me faisaient du mal parce qu’elles-mêmes étaient mal ou bien qu’elles étaient jalouses.
« On n’a plus de chez nous »
Chaque jour, j’avais peur que mes parents me disent qu’on nous avait expulsés. Un soir, la nouvelle est tombée : « On n’a plus de chez nous. » J’ai mis quelques secondes à comprendre ce que ma mère venait de me dire. Cet instant restera à tout jamais gravé dans ma mémoire. C’était la première fois que j’éprouvais tant de sentiments. Un mélange de haine, de colère, de peur et de panique.
Un ami de mon père qui avait une chambre d’amis et qui habitait dans le même bâtiment que nous, nous a hébergés. Ce qui en même temps a évité d’éveiller les soupçons à l’école. Le soir, je voyais ma mère chercher un appartement, mais lorsqu’on appelait, ils nous répondaient toujours « non ». Les jours passaient et je continuais à aller à l’école, ma mère faisait des heures supplémentaires pour pouvoir nous payer une chambre d’hôtel. À l’école, rien ne changeait, mes amis me soutenaient : tout allait s’arranger.
Nous avons finalement trouvé un hôtel. Je me sentais mieux, j’avais la sensation d’avoir un chez moi. On est restés un an ou deux, on avait une cuisine et une autre pièce : mes parents dormaient sur le lit double et ma petite sœur et moi on avait chacune un matelas qui se pliait. J’ai pu continuer ma scolarité jusqu’en CE2, l’école était à cinq minutes. En avril, on a déménagé dans un nouvel appartement, et même si on habitait à 15-20 minutes de l’école, j’ai fini mon année. Je suis passée de Père Lachaise à Saint-Blaise, à côté du périph’. En changeant de quartier, j’ai dû changer d’école et j’ai perdu mes meilleures amis, ceux que je connaissais depuis toujours (depuis la maternité !). Et puis on n’avait pas de téléphone à l’époque… On ne pouvait donc pas garder contact. Mais d’un autre côté, j’étais contente d’avoir un vrai chez moi et une vraie chambre avec ma sœur.
Benjamin aussi est rentré chez lui en se retrouvant face à des camions de déménagement… Au collège, on l’a fait rentrer pour le foutre dehors.
Maintenant que je suis au collège, en quatrième, je me rends compte que ce que j’ai vécu auparavant m’a renforcée. J’ai appris à ne plus calculer les gens qui me rabaissent et à me tourner vers les gens qui m’ont aidée : mon oncle, des amis de la famille, mes propres amis à l’école. Il faut garder la tête haute et de ne pas se laisser faire.
Cette différence de classe sociale que je n’avais jamais prise en compte est évidente à présent. Des personnes se croient différentes de nous par L’ARGENT. Cette ressource, pour eux inépuisable, qui les privent souvent de sentiments.
Zahra, 13 ans, collégienne, Paris
Crédit photo Flickr // CC Bianca J