Agressé dans la rue, j’ai décroché au lycée
Il a suffi d’un trajet pour faire basculer mon année scolaire… J’étais un élève normal, j’allais en cours comme pratiquement tous les autres ados de mon âge. Je mettais dix minutes à pied de chez moi jusqu’à mon lycée, Pauline Roland à Chevilly-Larue. Un après-midi de janvier, alors que je pensais aller à mon cours de sport, je me suis fait interpeller en plein milieu de mon trajet par un groupe qui arrivait sur le trottoir en face de moi.
C’était une dizaine de jeunes de mon âge, certains plus âgés. Ils se sont mis tout autour de moi, à la hauteur d’une camionnette blanche qui nous cachait de la route et des passants. J’ai enlevé mes écouteurs. L’un d’eux m’a attrapé par la capuche et m’a dit : « Donne-moi ton manteau ! » Il me menaçait avec un taser pendant qu’un autre me donnait des coups dans les jambes en me disant : « Dépêche-toi ! »
Je portais une parka The North Face que l’on m’avait offerte pour mon anniversaire. Elle valait chère et j’y tenais.
Sous le coup de la panique et de la peur, je l’ai retirée en oubliant qu’il y avait mon portefeuille dedans. Ils me l’ont arrachée des mains. J’ai voulu partir mais deux jeunes m’ont attrapé et m’ont arraché mon téléphone et mes écouteurs des mains. C’était tout ce qu’il me restait. Après ces deux très courtes minutes, ils sont tous partis en courant et je me suis retrouvé « nu » : plus de manteau, plus de portefeuille, plus de téléphone. Je suis rentré chez moi, effrayé, et j’ai prévenu ma famille.
En moins de cinq minutes, ma journée s’est transformée en un véritable enfer. Je me suis retrouvé au commissariat au lieu d’être en cours de sport avec mes amis. En plus, j’avais l’impression de vivre une deuxième fois la même journée à cause d’une agression qui m’était arrivée quand j’étais en 6ème. Au commissariat, je suis tombé sur une amie à qui il était arrivé à peu près la même chose, dans le bus, en allant au lycée comme moi. J’ai attendu pendant trente minutes avec mon père l’arrivée d’un policier, puis j’ai passé au moins une heure à tout expliquer .
J’étais terrifié rien qu’à l’idée de sortir de chez moi
Suite à cet événement, j’étais terrifié rien qu’à l’idée de sortir de chez moi. Le premier jour de lycée après « l’horreur », j’étais encapuché, seul, en attendant une seule chose : être chez moi, en sécurité. La première heure, j’avais un contrôle d’Histoire. J’ai juste écrit mon prénom, c’est tout. Dans les cours, je ne prenais pas de notes. J’écoutais pas, j’avais les bras croisés. Je suis resté comme ça plusieurs jours. Mon père avait appelé ma CPE pour lui parler de mon agression. Elle m’avait convoqué dans son bureau avec mon amie à qui il était arrivé la même chose. Elle nous a dit que si on avait besoin de parler, on pouvait venir la voir. Mais je ne suis jamais allé la voir de moi-même.
Déjà que je n’étais pas un grand travailleur, là, je ne faisais plus rien du tout. Je repensais sans cesse à ce qui m’était arrivé et je ne suivais plus en cours. J’étais présent physiquement mais absent moralement. À la maison, je ne travaillais pas non plus, je ne révisais plus. Je traînais sur Youtube, j’essayais de penser à autre chose, de me changer les idées.
Evidemment, tout ça a causé la chute de mes notes. Je devais être à 11 de moyenne en janvier et en juin, je suis tombé à 9,8. Je pense que les profs comprenaient le lien entre mon agression et mes résultats, mais ça n’a empêché mon redoublement. Quand j’ai commencé à perdre un point de moyenne, je ne me suis pas douté que j’allais devoir redoubler, mais lorsque j’ai perdu un autre point, puis encore un autre, j’ai compris que si plus tard, je voulais faire ce que je voulais, il fallait que je redouble.
En septembre, j’ai donc commencé ma deuxième année de première S. J’essayais d’oublier tout ça, j’évitais d’en parler. C’est surtout que je ne voulais plus y penser. Grâce à l’aide de ma famille, de mes amis et de ma CPE référente, j’ai peu à peu repris confiance en moi, même si je ne leur parlais pas beaucoup, je savais qu’ils étaient là si jamais j’avais besoin de voir quelqu’un. Ils n’ont pas arrêté de me dire que je devrais en parler. Cet événement est resté marqué dans ma tête un long moment.
Quand on décroche il ne faut pas désespérer ! Sorti de l’école sans bac, Paul a d’abord connu un parcours scolaire très chaotique. Mais à l’occasion d’un voyage au Canada il trouve enfin sa voie et l’envie de reprendre des études. « De mon décrochage scolaire à… un double diplôme international » !
Aujourd’hui, un peu plus d’un an après, je me rends compte qu’en parler me fais le plus grand bien et m’aide beaucoup. Certaines choses ont changé : je me méfie beaucoup plus dans la rue, j’ai des peurs qui ressurgissent dès que je vois un groupe de jeunes ressemblant à ceux qui m’ont agressé. Mais j’ai de l’ambition pour plus tard. Je n’ai surtout pas envie de laisser une agression me gâcher la vie.
Tom, 17 ans, lycéen, Chevilly-Larue
Crédit photo Flickr // CC Tony Blay