Femme noire, j’ai enfin trouvé mes modèles
Quand j’étais enfant, j’adorais particulièrement les poupées Barbie mais, dans les immenses magasins où je me baladais avec mes parents, aucune n’avait des caractères physiques me ressemblant. Toutes avaient de beaux cheveux lisses, longs, bruns ou roux. Malgré les nombreux métiers qu’elles exerçaient, aucune n’avait la moindre ressemblance avec moi ou des femmes de mon entourage. Aucune Noire ou avec les cheveux crépus.
Ce manque de représentation a eu un impact sur ma confiance en moi. Petite, je ne me trouvais pas belle, je n’aimais pas la couleur de ma peau et je détestais mes cheveux crépus. J’enviais les autres petites filles. D’autant qu’en y repensant, je ne pense pas que j’aurais joué avec cette poupée noire. Mon intérêt pour les poupées noires était un questionnement perpétuel sur le fait qu’il y en avait peu, mais il y avait un intérêt quasi nul pour jouer avec.
Aucune princesse noire dans les Disney
L’expérience de la poupée noire m’a permis de comprendre des années plus tard que je n’étais pas la seule enfant à ne pas vouloir jouer avec.
Dispositif inventé aux États-Unis dans les années 40, l’expérience des poupées noire et blanche a été reproduite depuis – ici en Italie – pour montrer le poids du racisme sur les enfants racisées.
Plus tard, cette frustration a refait surface lorsque que dans de nombreux dessins animés, particulièrement de Disney, aucune femme noire n’était représentée. Il y avait des princesses aux cheveux blonds comme Cendrillon, Raiponce, des brunes comme Belle de La Belle et la Bête et Blanche-Neige. Il y avait même des lions qui chantent et qui parlent, des sirènes qui dansent avec des animaux marins et des rats qui cuisinent comme des chefs… Mais aucune princesse noire. Puis, finalement, en 2010, Disney a sorti le film La princesse et la grenouille (où la princesse est montrée dans sa véritable apparence vingt minutes sur deux heures de film).
Dans les films et séries, le combat fut le même. Les femmes noires représentées me ressemblaient physiquement mais elles étaient « clichés ». Femmes de ménage, prostituées, des femmes toujours en colère qui ne savent s’exprimer que par la violence. Aucune n’était l’héroïne, l’avocate ou la mathématicienne.
Des modèles afro-américains
La première fois que j’ai pris une claque, c’est grâce à ma mère, qui me montra Malcolm X de Spike Lee. Ce film m’a bouleversée. Pour la première fois de ma vie, une œuvre cinématographique répondait à toutes les questions que je me posais quand j’étais enfant. Pour la première fois, je comprenais la véritable place de ma couleur de peau dans la société. Je fis la découverte avec engouement de nombreux activistes, tels qu’Angela Davis, Maya Angelou, Martin Luther King et James Baldwin : ils étaient devenus des inspirations et des modèles. Mais ils étaient tous Afro-américains.
Malgré mon intérêt pour leur cause, la lutte des droits civiques ne me touchait pas directement. J’ai donc tenté de trouver une femme française qui me ressemblait et qui pourrait être un modèle pour la jeune enfant que j’étais.
De par mes origines martiniquaises, guadeloupéennes et maliennes, je fis la belle rencontre d’Aimé Césaire, créateur du concept de négritude, et de Léopold Sédar Senghor, grand poète français d’origine sénégalaise. Ils m’ont permis de comprendre que la couleur de ma peau serait peut-être un obstacle à certains moments mais qu’elle était également ma force et que je devais apprendre à l’aimer comme il se devait.
Grâce à ces auteurs, j’ai pu élargir mes lectures avec des œuvres comme L’esclavage raconté à ma fille de Christiane Taubira, ou Ne suis-je pas une femme ? de bell hooks.
Une histoire de l’esclavage que l’on ne trouve pas dans les livres
Mon éducation familiale m’a également permis d’être assez informée sur le sujet. J’ai eu l’occasion de faire un voyage au Sénégal avec mes parents et ma petite sœur, sur l’île de Gorée où on a pu visiter la maison des esclaves… ça a été un bouleversement parce que c’était la première fois de ma vie qu’on me parlait de l’esclavage.
Un monsieur nous a raconté d’où étaient partis les Africains durant la traite négrière. Je me suis rendu compte que tous les Noirs venaient d’Afrique, bien qu’aujourd’hui beaucoup sont dispersés aux quatre coins du globe et ne se considèrent pas comme tel.
Mon papa m’a ensuite énormément poussée à lire. Il ne voulait pas que ma sœur et moi soyons des personnes noires qui ne connaissent pas notre histoire. Il ne voulait pas qu’« esclavage », « colonisation », « racisme » soient des mots complètement inconnus pour nous. Surtout que cette histoire n’est pas beaucoup enseignée à l’école. Ma maman me répétait beaucoup : « T’es une femme donc tu dois travailler deux fois plus, et tu es noire donc tu dois travailler deux fois plus encore. »
Le documentaire Ouvrir la voix d’Amandine Gay illustre à la perfection ce besoin de modèles, mais aussi l’intersectionnalité des luttes féministes et antiracistes. Elle y laisse la parole aux premières concernées, des femmes noires qui déconstruisent les discriminations qu’elles subissent.
https://www.youtube.com/watch?v=lOmprPPISrk
Des années plus tard, mon regard sur le manque de représentation des femmes racisées a nettement évolué. Il n’y avait pas qu’un manque de représentation des femmes de ma communauté, mais de toutes les personnes racisées et discriminées.
Elles s’appellent Christiane Taubira, Assa Traoré et Rokhaya Diallo
Aujourd’hui, les sujets de représentation et de discrimination sont beaucoup plus mis en avant, à la télévision mais aussi dans le monde politique avec des femmes comme Christiane Taubira et des militantes comme Assa Traoré. J’ai eu la chance de la rencontrer lorsque j’ai pris mon premier engagement politique en allant manifester en juillet 2020 pour soutenir son combat pour son frère Adama.
J’ai fait la rencontre de ces femmes de diverses manières : Christiane Taubira grâce à sa loi qualifiant l’esclavage de crime contre l’humanité. Rokhaya Diallo grâce à un débat très houleux avec Eric Zemmour… Pour la première fois de ma vie, j’avais trouvé celles qui m’inspiraient ! Celles avec qui je pouvais me dire : « Tiens, c’est comme elle que je veux être plus tard » ; « C’est grâce à elle que je veux exercer ce métier. »
J’ai enfin pu trouver des modèles, françaises. Particulièrement Rokhaya Diallo, car j’aimerais devenir journaliste mais je ne connaissais pas énormément de femmes noires qui exerçaient ce métier. Depuis Rokhaya, je suis encore plus motivée dans cette voie.
Akim, son vivier de modèles, c’est l’équipe de France de football ! Il se retrouve dans le parcours de ses joueurs préférés, qui lui donnent de la force et de l’ambition.
Néanmoins, j’ai toujours l’image d’une France qui représente majoritairement des hommes âgés, cisgenres, hétérosexuels et blancs. C’est pour cela que ces femmes sont devenues mes modèles. Elles ne partagent pas toutes exactement le même combat, mais elles se battent chaque jour pour élever leurs voix.
C’est grâce à ces femmes qu’aujourd’hui, moi et beaucoup de jeunes sommes motivées à élever les nôtres et à réaliser nos rêves dans une société qui n’est pas forcément de notre côté. C’est grâce à ces femmes et à beaucoup d’autres, françaises ou étrangères, qui nous servent de modèles que nous, jeunes, deviendrons plus tard les modèles des générations futures.
Jhana, 18 ans, lycéenne, Paris
Crédit photo Allociné // © Bras de Fer Production et DistributionFilm // Ouvrir la voix (documentaire, 2017)