Ma meilleure vie, je la ferai au quartier
Le quotidien de ma cité, c’est les jeunes qui essaient de gagner de l’argent pour s’en sortir. Les enfants qui jouent dans les parcs. Les adultes qui jouent au foot dans les grands terrains, et les parents qui discutent entre eux. La police passe quand ils veulent en faisant les cow-boys, ils ne se sentent plus. Ils font toujours exprès de ne pas comprendre, ils essaient de jouer mais, nous, on ne joue pas. Après, normal, on s’énerve.
Les bâtiments sont anciens, mais ça va, ils sont encore bien. C’est le quartier Franc-Moisin à Saint-Denis, là où je vis actuellement. J’aime bien vivre là-bas, ça fait plus de quinze ans. Je connais la ville, le quartier. C’est pour ça que je veux rester pendant encore un petit moment. Je connais les amis et les connaissances depuis qu’on est gamins, on a fréquenté les mêmes écoles jusqu’au collège. Petit, on était tous ensemble, on jouait au foot, j’aimais bien. Les commerces aussi n’ont pas bougé : l’épicier, c’est le même depuis que je suis né.
Chaque année, on fait la fête du quartier, où je revois mes gars, les connaissances. On fait des barbecues, on discute.
Quand t’es en groupe, la police se sent en danger
Les interventions musclées ? Ça ne m’est jamais arrivé, mais je sais comment me comporter. J’obéis et ça passe, mais ce n’est pas le cas pour tout le monde. Les jeunes du quartier essaient de s’en sortir en vendant, la police essaie de les arrêter. Ça mène à des courses poursuites, des bagarres. Avant, je me battais. Maintenant, je n’ai plus le temps pour ça.
Dans mon ancien quartier, où j’ai beaucoup de connaissances, on a perdu un gars qu’on connaissait tous dans un accident, dans des circonstances assez floues. Il y a deux versions. Dans la presse, ils disent que la personne a voulu fuir la police. Il était en scoot, a grillé deux feux rouges et s’est fait renverser à contre-sens sur l’autoroute. À contre-sens sur l’autoroute, wesh ? Il n’est pas bête, ça doit être faux ! J’ai demandé à un ancien ami du quartier. Lui, il m’a dit : « Oui, c’est vrai qu’il a voulu fuir la police mais il a jamais été à contre-sens sur l’autoroute. »
Je crois plus les gars de mon quartier. Ça m’impacte moi et les autres, parce qu’on ne peut pas se sentir libres. Les jeunes ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent car, à tout moment, il y a le danger de se faire attraper par la police. Quand t’es en groupe, ils peuvent venir te faire chier pour rien, même si tu n’as rien fait. Des fois, lorsqu’on est nombreux, la police se sent en danger en pensant qu’on va leur faire quelque chose. Alors qu’on est des gens bien, on veut juste être tranquilles.
J’ai refusé de vendre
La cité, c’est bien, mais quand on grandit ça devient difficile. Si on veut réussir dans la vie, on doit prendre des décisions pour le bien de notre avenir. Dans « on », je parle pour tout le monde qui veut s’en sortir dans la vie. On a tous un côté quartier : on a toujours ça, on veut faire le fou, ça peut ressortir à tout moment en nous. Mais, en grandissant, je pense qu’il faudrait prendre un peu de recul : « Est-ce que j’aurais une meilleure vie en faisant ça ? » Ou : « Est-ce que cette chose est bien pour moi ? », etc. Les gens ont besoin de comprendre que, chaque décision, peu importe le domaine, a un impact sur notre vie.
J’ai refusé de vendre car je savais où ce genre de choses menaient. Des gars du quartier m’ont proposé de guetter mais j’ai dit non, même si je sais que ce sont des grosses sommes. Je connaissais déjà le milieu car auparavant je regardais des reportages sur ce sujet. Puis, je connais, j’ai grandi ici. Je trouvais ça bien mais j’étais conscient des risques, donc j’ai préféré ne pas le faire. J’ai préféré travailler comme tout le monde sans problème, en intérim.
Le service civique, c’est mieux que rien
Quand j’ai arrêté l’école, j’ai voulu travailler mais je ne trouvais pas. Je restais trop de temps au quartier en ne faisant rien. J’ai pris la décision d’arrêter de rester en bas de la cité avec mes potes, et de bosser. Je me suis dit que ça ne rapportait pas d’argent de traîner. J’ai trouvé des boulots en intérim, j’ai fait un peu de sous, j’ai aidé ma mère. Je faisais les courses, je lui donnais de l’argent, et je mettais de côté.
Ambitieuse aussi, Aïcha refuse d’écouter les préjugés et le mépris de ses profs sur son quartier. Elle souhaite leur donner tort.
Je suis allé à la mission locale, voir une conseillère. Elle m’a conseillé de faire un service civique. Je me dis que c’est mieux que rien ! Au moins, c’est un an sans rester à la maison, et c’est payé !
Et après ? Je ne sais pas, j’aimerais bien travailler, être très indépendant, avoir beaucoup d’argent pour investir et avoir une meilleure vie.
Kylian, 22 ans, volontaire en service civique, Saint-Denis
Crédit photo Unsplash // CC Sab Qadeer
Les jeunes de quartiers prioritaires face aux inégalités
Ils et elles arrêtent plus souvent leurs études
Les jeunes qui arrêtent leurs études en cours de cursus sont majoritairement issu·e·s de quartiers prioritaires et ont été contraints de prendre cette décision. Pour 35 % d’entre elles et eux, la raison est financière. Les autres n’ont pas eu la formation demandée, ou habitaient trop loin de leur lieu d’études.
Ils et elles trouvent moins vite un emploi
37 % de ces jeunes n’ont pas trouvé d’emploi dans les trois ans qui suivent l’obtention de leur bac, alors qu’ils et elles ne sont que de 22 % dans les autres quartiers. Si l’on ne regarde que les contrats durables, on se rend compte que ce pourcentage monte à… 63 %.
Ils et elles ont moins de chance d’être cadre
Au fil de leur carrière, les jeunes de quartiers prioritaires obtiennent finalement quasiment autant de CDI que les autres. En revanche, ils et elles ont 1,5 fois moins de chance d’occuper un poste de cadre que les autres employé·e·s.
Merci pour ce témoignage.
J’adore, c’est juste et sincère.
Félicitations à toi.