Isham L. 04/03/2022

2/2 On me prenait pour un étranger

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Isham se sent chez lui aussi bien en Ouganda qu’en France. Pourtant, il est partout considéré comme un étranger à cause de sa couleur de peau métissée.

« Muzungu » : voilà ce que disaient les gens autour de moi en Ouganda. C’est un terme en swahili pour désigner les personnes étrangères de race blanche. Il est utilisé par beaucoup d’Africains des pays de l’Est à chaque fois qu’ils voient des touristes blancs. À cause de ma couleur de peau qui est plus claire, beaucoup d’Ougandais m’ont traité comme un étranger, même si je suis né et que j’ai vécu dans le même pays qu’eux. Cette discrimination et le manque de communication dû à la barrière de la langue m’ont toujours fait me sentir ostracisé.

Je suis né à Kampala, la capitale de l’Ouganda, d’un père français et d’une mère ougandaise. J’aime mon métissage car c’est une preuve du multiculturalisme de ma famille. Je suis passionné par l’histoire des deux côtés de ma famille : mes ancêtres paternels sont enregistrés par mon grand-père dans un arbre généalogique de plus de 70 générations européennes. Et mes origines maternelles sont diverses : africaines et asiatiques d’après ma mère, mais elle n’est pas certaine des pays. En 2020, j’ai fait un test ADN. Cela m’a permis d’avoir une image plus claire de mes origines ethniques. 

À Kampala, j’ai grandi dans la diversité culturelle et religieuse. Dans mon école française, j’étais entouré d’amis d’origines et de croyances très variées. Au sein de ma famille, il y a aussi une diversité religieuse : des musulmans, des chrétiens, des catholiques et des protestants. Cela m’a rendu plus tolérant envers les autres religions et m’aide à respecter les différences.

Perçu comme étranger dans mon pays natal

Mon métissage a beaucoup influencé le regard des gens sur moi et leurs comportements envers moi, en Ouganda et en France. J’ai vécu du racisme de façon plus ou moins violente dans ces deux pays. 

Quand j’étais plus jeune, nous allions souvent rendre visite à ma grand-mère maternelle à Katwe, un village à neuf heures en bus de Kampala. Cette commune se situe près du parc national de Queen Elizabeth, l’un des parcs les plus grands d’Ouganda, une attraction majeure pour les touristes étrangers. C’était extraordinaire de traverser la savane, de voir les animaux sauvages au loin. Malgré cela, je me sentais toujours anxieux à chaque fois que je m’éloignais trop des villes. Dans les régions reculées, je suis perçu comme un étranger. Dans mon propre pays de naissance. 

En 2010, lors de l’un de ces voyages, alors que j’avais 9 ans, ma mère m’a proposé de faire une promenade, de visiter les lacs et de voir les animaux sauvages de plus près. J’ai accepté sans savoir qu’elle ne viendrait pas et qu’une autre personne, un homme que je ne connaissais pas, allait m’accompagner. Pour me convaincre, ma mère m’avait dit que c’était l’occasion de mieux découvrir son village natal. Curieux, j’ai décidé d’avoir du cœur au ventre et d’y aller. Je l’ai très rapidement regretté.

On me regardait comme une attraction

À cause de la barrière de la langue, les cinq premières minutes furent très inconfortables mais il faisait beau, et je me sentais paisible. Mais l’ambiance a rapidement changé. Nous sommes passés devant un parc où il y avait une vingtaine d’enfants qui jouaient et qui ont commencé à nous suivre dès notre arrivée.

L’inconfort que j’avais ressenti juste avant n’était rien par rapport à ce que j’ai vécu après. Les enfants me regardaient comme des badauds en train de regarder un spectacle incroyable. Certains chantaient et disaient « Muzungu », d’autres couraient autour de moi et je me sentais très mal à l’aise. Le manque de communication entre l’accompagnateur et moi ne calmait pas la situation et ce furent les quinze minutes les plus longues de ma vie. 

Quand nous sommes retournés à Katwe à d’autres occasions, je me suis senti très incommodé. J’avais l’impression que les villageois me regardaient comme une attraction. J’étais là-bas pour voir ma famille mais je me sentais isolé car, comme je suis métis, j’étais toujours traité différemment de mes cousins, comme un e. Je me suis senti exclu à cause de ça.

Une partie de ma famille est raciste

Je suis arrivé en France il y a quatre ans pour mes études secondaires, à Givors [près de Lyon dans le Rhône, ndlr]. Cela m’a donné l’opportunité de découvrir directement la culture française et d’être plus près de mes grands-parents paternels, que je voyais rarement en Ouganda. Je savais, en venant en France, que j’allais être confronté à des problèmes de racisme à cause de mon métissage et de mes origines. 

Par exemple, une membre de ma famille porte un regard raciste sur les étrangers et est nationaliste. Une fois, ma mère lui avait acheté des cadeaux comme du café ougandais. Elle les a jetés. Nous avions proposé à cette partie de la famille de venir en Ouganda pendant les vacances, mais cela n’a pas été possible à cause de leurs préjugés. Ils pensent qu’ils vont tomber malades en Afrique. À cause de leur racisme, nous ne sommes plus en contact avec eux et je trouve ça très dommage.

Mes premiers jours au lycée en France, je me sentais perdu : l’établissement était énorme comparé à celui de l’Ouganda, il y avait beaucoup plus d’élèves. Après une semaine, mes camarades de classe ont commencé à me poser des questions sur mon pays et sa culture. Cela faisait du bien d’en parler et de partager mes histoires personnelles. Mais c’est aussi ici que je me suis rendu compte des préjugés absurdes et illogiques que certaines personnes ont sur l’Afrique. Une fille croyait que tous les Africains habitaient dans des cases et que nous nous déplacions sur des éléphants pour aller à l’école. Certains croyaient aussi que l’Afrique était un unique pays. Je trouvais ça dévalorisant pour toutes les différentes cultures africaines.

Moqué à cause de mon accent

J’ai aussi vécu de la glottophobie, c’est-à-dire de la discrimination linguistique. Venant d’un pays anglophone, j’ai un accent particulier. Je sentais de la pression pour le gommer. Même en dehors du lycée, je suis toujours vu comme un Africain, et des fois comme un Arabe à cause de mon métissage. Mes potes se moquent des fois de mes origines africaines en faisant des blagues pas drôles. Même si c’est juste pour rigoler, ça reste toujours du racisme dévalorisant mon héritage.

C’est grâce à ces expériences que je suis la personne que je suis aujourd’hui. Je suis plus empathique et plus tolérant envers les autres et leurs différences. C’est pour cette raison que je suis actuellement en service civique, où j’aide des réfugiés à s’intégrer en France, et que je veux travailler dans l’humanitaire. Je suis fier de mon métissage et de mes origines car cela fait partie de mon identité. C’est ce qui me rend différent des autres et donc unique.

Isham, 20 ans, volontaire en service civique, Lyon

Crédit photo Unsplash // CC Kevin Quintino

 

Le métissage

Ni d’ici, ni d’ailleurs

Venant du latin mixtus signifiant mélanger, le terme « métis » qualifie le plus souvent celles et ceux issu·e·s d’une union entre deux personnes d’origines différentes. L’autrice Leïla Slimani voit le métissage comme une « damnation » : « Le métis est condamné à ne pas savoir qui il est, ce sont les autres qui le lui disent. »

Objet de fétichisation

Le terme de métissage est né dans le contexte de l’esclavage et de la colonisation : il désignait les relations (interdites par le Code noir) entre colons européens et femmes réduites en esclavage. L’historien Jean-Luc Bonniol explique qu’aujourd’hui le métissage est devenu un objet de fétichisation. Perçues comme une « transgression de l’ordre racial existant » selon ses termes, les unions interraciales sont fantasmées et conçues comme des remèdes au racisme.

Le colorisme, nuances de racisme

Le colorisme est un concept sociologique qui désigne la distinction sociale de traitement entre une personne claire de peau et une personne à la peau plus sombre. Il existe aujourd’hui, partout dans le monde, des cosmétiques toxiques et nocifs pour s’éclaircir la peau. D’ici 2024, les profits issus de cette industrie pourraient atteindre 25 milliards d’euros à l’échelle mondiale.

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