1/5 Il a démissionné de son rôle de père
Il y a trois ans, mon père a démissionné de son rôle de père. J’étais en quatrième. Il a posé une lettre sur le bureau de mon éducatrice, à Challans. La lettre disait en gros qu’il ne voulait plus avoir de comptes à me rendre, qu’il renonçait à son autorité parentale, qu’il ne voulait plus m’aider à m’en sortir. Moi, j’ai halluciné. C’était comme un coup de poignard dans le cœur.
Après avoir sorti sa lettre, il est parti. Je l’ai suivi, j’ai essayé de parler avec lui. Et je lui ai dit de rester, je l’ai supplié, mais il ne disait pas un mot. Je suis retourné dans le bureau de mon éducatrice et on a discuté du message que j’avais envoyé à mon père la veille. C’était un appel à l’aide. Je lui disais que j’avais besoin de lui, que je voulais une autorité masculine pour m’en sortir dans la vie. À ce message, il n’a jamais répondu. Même avec ça, je n’ai pas réussi à le convaincre de rester mon père. Les éducatrices ont dit qu’elles n’avaient jamais vu ça.
On perd vite les pédales quand on n’a pas de repères
C’est à partir de ce jour-là que la rage est née en moi. J’ai commencé à être tout le temps énervé, à parler mal à tout le monde, à faire tout et n’importe quoi, à me faire virer des bahuts. Je n’avais plus d’envie, même plus envie de m’en sortir parce que je n’avais plus mon père. Je répondais aux profs. À chaque cours, j’étais viré parce que je dormais sur ma table, que je ne voulais pas sortir de cahier pour travailler ou que je me moquais des autres. On perd vite les pédales quand on a 14 ans et qu’on n’a pas de repères pour avoir des conseils sur la vie.
Ma mère était perdue. Comme je faisais trop de conneries, elle ne savait plus comment gérer la situation. Je n’étais pas méchant avec elle, mais j’étais tout le temps mal et je ne faisais que des conneries. Elle essayait de me motiver, de me soutenir, mais elle n’y arrivait pas. À ce moment-là, j’avais besoin d’un père, d’une autorité masculine, de quelqu’un qui me parle d’une voix grave et qui me donne des ordres stricts. Un père, c’est fait pour qu’il mette de l’ordre dans la famille. Pour les garçons, c’est important l’avis d’un homme.
Pour mon père, j’étais un moins-que-rien
Treize mois plus tard, j’étais en troisième professionnelle à la maison familiale et rurale (MFR) de Saint-Jean-de-Monts. Au bout de six mois, je suis passé en conseil de discipline, car je n’étais pas à fond dans mon travail en classe, j’étais déboussolé. Présent à la réunion (parce que la MFR voulait que les deux parents soient là), mon père m’a enfoncé : il a dit que j’étais un moins-que-rien, que je ne faisais rien pour m’en sortir, que je n’étais pas sérieux dans mon travail. Alors qu’il ne vivait plus avec moi, qu’il ne m’éduquait pas, qu’il ne pouvait rien savoir de ma vie à l’école et à la maison !
Ça m’a mis la rage de me faire dénigrer comme ça devant tout le monde par mon propre père, de ne pas être assez fort pour lui dire de se taire et de partir. S’il n’avait pas été là, je pense que j’aurais pu me défendre pour garder ma place à la MFR. Mais quelques jours plus tard (le jour de mes 15 ans), j’ai reçu une lettre qui disait que je n’étais plus admis là-bas.
À ce moment-là, mes études, ce n’était pas ma priorité. Je ne pensais qu’à renouer avec lui. Depuis qu’il avait démissionné de son rôle de père, c’est mon éducatrice qui comblait mes questions, mes doutes. Elle avait en quelque sorte le rôle d’une autorité masculine, même si c’était une femme. Ça veut dire que c’est elle qui me mettait des limites, elle qui m’encourageait à faire des CV, à me reconcentrer sur ma vie. Ma mère, elle, n’a jamais eu d’autorité sur moi, mais elle a toujours été là pour m’encourager.
Je n’attends plus rien de mon père
Mon éducatrice, elle prenait aussi le rôle du psy. Je la voyais une à deux fois par semaine. À chaque fois, elle me faisait parler de ma naissance, de ma vie aujourd’hui. Elle essayait de comprendre pourquoi ça avait été aussi loin avec mon père. Elle me poussait à discuter de la séparation de mes parents, tout ça.
Sans le savoir, pendant trois ans, elle m’a vraiment permis d’avancer. Elle m’a permis de comprendre que, dans la vie, tout le monde a sa propre façon de réagir et que le passé peut avoir des répercussions sur l’avenir. Elle m’a aussi fait comprendre que ma mère avait toujours été là pour moi et mes sœurs. Qu’elle avait toujours été présente aux rendez-vous, qu’elle m’avait toujours soutenu. Qu’elle pouvait aussi jouer le rôle du père et être cette autorité masculine qui me manquait.
Si j’ai des enfants, je ne referai pas les mêmes erreurs
Aujourd’hui, je me sens épanoui d’avoir réussi à faire face à tout ça. De m’être battu pour ne pas craquer et surtout ne pas avoir abandonné. Je vois toujours mon père et je l’aimerai toujours, mais je me protège de lui car il est négatif. Je n’attends plus rien de lui. Maintenant, je sais qu’il m’apportera juste un peu d’amour, mais jamais rien d’autre. J’ai compris qu’il vivait pour lui et seulement pour lui, qu’il nous aimait et pensait quand même à nous.
Série 2/5 – La relation entre Yasmine et son père était fusionnelle, mais n’a pas duré. Depuis qu’il a coupé les ponts, elle a du mal à tisser des liens.
Selon moi, ce qui l’a fait reculer sur ses responsabilités de père, c’est son passé. Avec mes grands-parents, il a eu une enfance tellement stricte, avec de la violence physique et morale qu’à cause de ça, il s’est renfermé et n’a pas du tout confiance en lui. Il n’est pas bien dans sa peau et ne se responsabilise pas lui-même. Alors comment est-ce qu’il pourrait être responsable de nous ?
Quand, plus tard, j’aurais des enfants, le rôle de père sera moins compliqué. Car, désormais, je sais les erreurs à éviter.
Benjamin, 17 ans, en formation, Saint-Jean-de-Monts
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)
Pousser sans tuteur
Sans repères
De Sniper à JoeyStarr en passant par Guizmo, les rappeurs ont été nombreux à évoquer le sujet du père déserteur. Une situation qui touche autant les femmes que les hommes. Dans l’émission Woman Talk That Talk, Emma témoigne de l’impact qu’a eu l’absence de son père sur sa vie.
Des foyers souvent pauvres
Les familles monoparentales, c’est une famille sur quatre en France. 19 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté, soit 1,3 million de personnes. Dans ces conditions, la débrouille, le soutien de l’entourage et le système de protection sociale jouent un rôle capital.
Passer outre les barreaux pour garder le lien
Visiter un·e proche au parloir est une épreuve. Les enfants sont plus de 95 000 à compter un parent derrière les barreaux, le plus souvent le père. À Marseille, l’AFP s’est rendue aux Baumettes, à la rencontre de ces familles disloquées par la prison.