1/4 Tous les jours, la police nous fait la hagra
L’autre jour, on était en train de manger à la cantine. Un policier a mal parlé à un Tunisien, il a insulté sa mère. J’ai demandé : « Pourquoi tu fais ça ? Il ne parle pas bien français, il ne comprend pas. » Il nous a emmenés dans la salle d’attente du centre et il l’a frappé devant moi. Plusieurs coups de poing au visage et dans les pecs. Le Tunisien avait du sang qui coulait sur les yeux, il était blessé. Le policier m’a tapé moi aussi parce que j’avais répondu. Le Tunisien en a parlé avec la Cimade, ils lui ont dit de porter plainte mais le policier a porté plainte contre lui avant.
C’est un connard ce policier. Tous les jours, il nous fait la hagra. Une fois, je voulais acheter des cigarettes et il a insulté ma daronne. Les autres aussi, les mecs de la police, ils nous parlent mal.
Entre nous, ça se passe bien. Samedi, on a regardé le match du Maroc. Il y a une télé par chambre, on est par quatre ou cinq. On était contents, même moi qui suis algérien j’étais pour le Maroc. Mais on a pas pu le fêter parce qu’il n’y a rien ici, on ne peut rien faire. Même pendant les repas, on ne mange que de la mayonnaise avec du pain parce que la viande n’est pas halal. On est presque tous musulmans, et ils nous donnent de la viande pas halal.
Il a mangé 32 médicaments
Il y a trois jours, l’un d’entre nous a vu son nom inscrit sur la liste de ceux qui devaient prendre l’avion. La Cimade lui a expliqué qu’ils ne pouvaient plus rien faire pour lui et qu’il allait être expulsé vers l’Algérie. Le soir, il a mangé 32 médicaments pour essayer de se suicider. Des anti-douleurs, comme ceux qu’on nous donne quand on a mal aux dents. Il ne voulait pas partir. Ici, à Toulouse, il a deux filles et sa femme. Il a été emmené, je ne sais pas où il est maintenant.
SÉRIE 2/4 – Hassan a subi la « double peine » : il a été condamné pour un délit, mais comme il est étranger, son titre de séjour lui a été retiré par la police.
Moi, je pars avec l’avion de samedi. On sera trois à être reconduits vers l’Algérie. Ça fait un mois et demi que je suis ici. J’ai un collègue qui part avec moi, il a peur parce que personne ne peut lui faire passer ses affaires. Il ne connaît que des gens qui n’ont pas de papiers donc il ne sait pas comment faire. Moi non plus, je n’ai rien récupéré de mes habits. Ils sont toujours dehors et je sais que je ne les reverrai pas.
Abdelkader, 20 ans, Algérien enfermé au CRA de Toulouse-Cornebarrieu
Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)
Expulsions à la chaîne
Débattue au parlement cet hiver, la nouvelle loi immigration prévoit de recourir plus souvent aux CRA, en expulsant plus. Les obligations de quitter le territoire (OQTF) seront distribuées encore plus massivement, sans possibilité de recours pour les personnes concernées, et les demandes d’asile seront traitées plus vites. Une situation « plus qu’inquiétante », pour Amnesty International.
Étranger·es, donc soit criminel·les…
Pour défendre sa loi, le ministre de l’intérieur ne fait pas dans la finesse. « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent », affirme Gérald Darmanin, en usant du raccourci entre immigration et délinquance. Il s’inscrit dans la continuité des ministres de l’Intérieur depuis plus de 30 ans. Rien n’a changé depuis 1997, quand 17 rappeurs et rappeuses chantaient contre les lois racistes : « Mes droits me quittent, vite fait / J’ai compris que l’éthique et l’équité / N’étaient pas les mêmes selon ta provenance et ta te-té. »
… soit ouvrier·es
Pour mieux justifier d’expulser massivement, le gouvernement prévoit aussi d’ouvrir des droits aux travailleurs et travailleuses sans-papiers. Dans les faits, les conditions d’attribution de ces titres de séjour seront strictes et ils ne seront délivrés que de manière temporaire. Dans une tribune, un collectif d’associations et de syndicats dénonce une vision des étranger·es qui les considère « comme une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée à l’arbitraire du patronat, de l’administration et du pouvoir ».