2/4 Me renvoyer au Soudan, c’est me condamner à mort
Je connais beaucoup de choses sur la France et son histoire, bien plus que sur le Soudan. Pour moi, je suis français. J’ai grandi en France, ma famille vit en France, j’ai fait mes études en France, toute ma vie est ici. Ma future femme est française. On est fiancés mais je ne peux même pas venir signer les papiers pour la demande en mariage. Je suis enfermé au centre de rétention depuis trois semaines, ça fera un mois la semaine prochaine. Je ne savais pas qu’il existait des endroits comme ceux-là en France.
Au centre, on m’appelle « le Français », pas le Soudanais. Je parle français comme un Français. Quand je dis que je suis étranger, les gens ne me croient pas. Chez moi, avec ma famille, on parle français entre nous, pour aider ma mère à améliorer son niveau. J’ai même oublié l’arabe. Les seuls moments où ça m’arrive de l’employer, c’est quand je me dispute avec ma mère, pour tout vous dire. Tout le monde me dit que je n’ai rien à faire là, même les policiers.
Arrivé en France, séparé de ma famille
À 8 ans, j’entendais les bombes. À 10 ans, je voyais la guerre autour de moi, les cadavres et le sang que les autorités ne voulaient pas ramasser. C’est au même âge que je suis parti avec ma famille. Un voyage incroyablement difficile. D’abord l’Égypte, puis l’Italie. On a fait dix jours en mer, le bateau a coulé. À la fin, il n’y avait rien à boire ni à manger, on buvait les glaçons qui conservaient le poisson. On est quand même arrivés en Italie puis en France.
À 14 ans, je me suis retrouvé séparé de ma famille parce que le campement pour femmes où on vivait n’acceptait pas les garçons de plus de 13 ans. J’ai été placé en foyer, puis quand ma famille a eu sa demande d’asile acceptée et qu’on nous a donné un logement, on est allés vivre au Havre.
On s’est retrouvés à vivre dans un quartier. J’ai grandi au mauvais endroit et j’ai fréquenté les mauvaises personnes. J’ai onze mentions à mon casier judiciaire pour des délits, la plupart quand j’étais mineur. Puis, j’ai pris un an cette année. Je n’ai jamais été condamné aussi longtemps C’est la plus longue peine à laquelle j’ai été condamné.
J’ai pris du recul en détention. Aujourd’hui, je regrette les délits que j’ai commis et je suis sincèrement désolé. J’étais à la maison d’arrêt de Bordeaux-Gradignan. Sur dix mois, j’ai travaillé huit. Je n’ai jamais eu aucun rapport, aucune embrouille. Dans une maison d’arrêt comme celle-là, avec 200 % de taux d’occupation et des bagarres tous les jours ! Pendant quatre mois, j’ai dormi par terre, alors que je me levais à 7 heures pour travailler.
Je n’ai même pas revu la liberté
La police aux frontières m’attendait à la sortie. Ils m’ont directement emmené au CRA de Bordeaux. Je n’ai même pas revu la liberté. Je ne comprenais pas. C’est ici que la Cimade m’a expliqué qu’on m’avait retiré mon statut de réfugié, à cause de mes condamnations. Je n’étais même pas au courant. Depuis l’année dernière, je n’ai plus de papiers, et je n’ai jamais été notifié ! Normalement, on vous le dit avec un courrier recommandé, mais je ne l’ai jamais reçu. Et maintenant, c’est trop tard pour que je fasse appel.
Ce n’est pas un centre de rétention, c’est un centre de fous ! Les gens pètent les plombs, on leur donne des médicaments pour les calmer. J’ai menti à ma mère au début. Ça m’a pris deux semaines pour lui avouer que j’étais enfermé ici alors que j’étais censé être libre.
Ma mère travaille, ma sœur fait ses études à Monaco… Ce ne sont pas des titres de séjour qu’on a dans ma famille, mais des cartes de résident. Et à moi, ils me retirent mes papiers et me renvoient au Soudan. Je ne comprends pas. Les pays du Maghreb, ce sont des destinations touristiques. Mais le Soudan, qui y va ? Le risque d’attentat est maximal là-bas. On dit que la France est le pays des droits de l’Homme, mais l’expulsion vers le Soudan, c’est la peine de mort ! Je préfère faire 20 ans de prison en France qu’une année libre dans mon soi-disant pays. Je me demande si les juges regardent les infos.
Des moisissures et des conflits
Au CRA, c’est chaud, il y a des tensions de fou ! Quand on arrive, on casse nos caméras de téléphone, les photos sont interdites. On est divisés dans des petites chambres de quatre. Mais parfois, des gens ne s’entendent pas avec leurs compagnons de chambre. Alors, pour que le conflit n’éclate pas, certains vont dormir dans les couloirs ou la salle télé.
SÉRIE 3/4 – Dans deux semaines, Francis sera escorté jusqu’à un avion, direction le Nigéria. En attendant son départ, la tension monte.
Il y a des moisissures partout sur les toilettes. Quand tu y vas, tu as peur d’attraper un champignon. On nous donne des tomates moisies. Elles sont couvertes de grosses tâches vertes. Les murs des douches sont aussi recouverts de moisissures. C’est l’endroit qui doit te rendre propre, et tu te laves dans la saleté ! On n’a droit qu’à une bouteille d’eau par repas. Des fois, la nuit, je suis réveillé par la soif parce que je ne bois pas d’eau du robinet. Le distributeur pour acheter à boire et à manger est cassé mais ils ne veulent pas le réparer.
La semaine prochaine, ça me fera 28 jours de CRA. Soit ils me prolongent, soit ils me libèrent avec assignation à résidence. Je suis obligé d’attendre ce qu’ils vont me dire mais je pense que ça ne va pas être positif, peut-être un retour au Soudan.
Je reçois la visite de ma copine, mais elle vit à Orléans. Ça lui fait dix heures de route à chaque fois, plus l’hôtel à payer. Je suis dégoûté. Elle m’a attendu pendant toute ma détention et là je me retrouve ici, à la faire attendre pour je ne sais pas combien de temps. Je ne sais pas quoi lui dire tellement j’ai honte. Lundi prochain, c’est mon anniversaire, mais je serai loin de ma famille.
Hassan, 21 ans, Soudanais enfermé au CRA de Bordeaux
Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)
Expulsions à la chaîne
Débattue au parlement cet hiver, la nouvelle loi immigration prévoit de recourir plus souvent aux CRA, en expulsant plus. Les obligations de quitter le territoire (OQTF) seront distribuées encore plus massivement, sans possibilité de recours pour les personnes concernées, et les demandes d’asile seront traitées plus vites. Une situation « plus qu’inquiétante », pour Amnesty International.
Étranger·es, donc soit criminel·les…
Pour défendre sa loi, le ministre de l’intérieur ne fait pas dans la finesse. « On veut ceux qui bossent, pas ceux qui rapinent », affirme Gérald Darmanin, en usant du raccourci entre immigration et délinquance. Il s’inscrit dans la continuité des ministres de l’Intérieur depuis plus de 30 ans. Rien n’a changé depuis 1997, quand 17 rappeurs et rappeuses chantaient contre les lois racistes : « Mes droits me quittent, vite fait / J’ai compris que l’éthique et l’équité / N’étaient pas les mêmes selon ta provenance et ta te-té. »
… soit ouvrier·es
Pour mieux justifier d’expulser massivement, le gouvernement prévoit aussi d’ouvrir des droits aux travailleurs et travailleuses sans-papiers. Dans les faits, les conditions d’attribution de ces titres de séjour seront strictes et ils ne seront délivrés que de manière temporaire. Dans une tribune, un collectif d’associations et de syndicats dénonce une vision des étranger·es qui les considère « comme une population de seconde zone, privée de droits, précarisée et livrée à l’arbitraire du patronat, de l’administration et du pouvoir ».