Ai-je raté ma vie avant de l’avoir commencée ?
J’ai raté ma vie avant de l’avoir commencée. C’est ce que je me suis dis en regardant mon classement au concours de médecine cette année-là. Ce n’était pourtant pas la première fois. Un an plus tôt déjà, je me retrouvais face au tableau d’affichage, enviant la centaine de noms de ceux qui avaient réussi là où moi j’avais échoué. Mais cette année-là, même la perspective des vacances d’été n’a pas suffit à me faire digérer mon échec. C’était mon deuxième faux départ. Le faux départ de trop.
Un peu comme Jon Drummond en 2003, disqualifié lors du championnat du monde à Paris en quart de finale du 100 m pour avoir fait le second faux départ de sa série, je restais là, immobile face au tableau d’affichage, comme si j’espérais encore voir mon nom remonter le haut du classement. J’ai pleuré en quittant la fac, comme lui en quittant la piste. Ce classement ne me renvoyait plus à ceux qui avaient réussi, ni même aux 88 % d’étudiants qui étaient dans mon cas. Non, il me renvoyait au film de ma vie dont le scenario venait d’être intégralement remanié. Il me ramenait à la réalité, anéantissant ainsi les rêves de toute une vie, ou de deux, celles de mes parents.
J’ai raté ma vie avant de l’avoir commencée. C’est aussi ce que j’ai pensé en annonçant la nouvelle à mes parents. La déception que je pouvais lire dans leurs yeux n’était pas non plus celle de l’année précédente. Cette fois, j’y lisais aussi de l’amertume, comme s’ils m’en voulaient de leur avoir fait croire en moi, une seconde fois. D’avoir parié sur le mauvais canasson. Je me sentais comme dévaluée, revue à la baisse, comme si on s’était depuis toujours trompé sur mes capacités. Un gâchis, voilà ce que j’étais devenue. J’étais passée du pur sang au shetland aux yeux de mes proches, mais surtout à mes yeux. Comme si on pouvait réduire une personne à ses échecs.
Notre société passe son temps à véhiculer l’hypocrite idée selon laquelle il n’existe pas de « sous métier ». Alors pourquoi y a-t-il tant d’attentes, tant de pressions et tant d’enjeux autour des études si tout le monde s’accorde vraiment à penser qu’aucun métier n’est mieux qu’un autre ? Certains romantiques diront que c’est le propre de tout parent de vouloir le meilleur pour ses enfants. D’autres, plus pragmatiques, diront que c’est le propre de tout adulte de vouloir assurer sa retraite. Mais, quoi qu’il en soit, pour mes parents, je pense que le propre de mon âge, que le propre de la jeunesse est justement d’expérimenter, de se tromper et d’envisager des plans de carrières qui n’aboutiront pas toujours.
Parce que « réussir sa vie » pour moi ne se limite pas au pouvoir d’achat, ou au statut social auquel on peut prétendre en exerçant une profession dite prestigieuse. Je pense sincèrement qu’on est plus près d’y parvenir en étant épanoui dans ce que l’on fait, plutôt qu’en appréciant uniquement son emploi au travers du regard des autres. Alors en attendant de commencer à vivre, d’être pleinement indépendante et d’être la seule à décider pour moi, je continue de rêver ma vie. Et dans mes rêves, ma blouse blanche n’est plus tachée de sang, mais de craies de toutes les couleurs…
Ayelya, 23 ans, étudiante, prépare le concours de professeur des écoles
Photo : Extrait de Etre ou avoir / N. Philibert
Je pense que bon nombre des lecteurs comprend ce que tu as pu ressentir !
Pour ma part, je suis encore dans cette période où, malgré l’obtention d’un master, je ne sais pas où aller, ma famille pense que je suis en année sabbatique alors que je suis en service civique, tous me conseillent les concours d’administration, sans se demander justement « qu’est ce que tu veux faire ? » … difficile de trouver sa voie, surtout quand justement, on a la pression de « réussir »…