La vie de campus m’a sortie de la solitude
L’année dernière, pas une seule fois, en deux mois, je n’ai passé le portail de ma maison. Pas une seule balade, ni une seule course. Par peur peut-être, mais aussi à cause de la surcharge de travail. Tous les jours les mêmes pièces, les mêmes murs, les mêmes meubles. Aucun changement dans le paysage environnant. Heureusement qu’il y avait notre jardin, fleurissant progressivement sous le doux soleil de Provence. C’était le seul lieu extérieur que je m’autorisais à visiter.
La seule présence que j’avais, c’était ma mère, lorsqu’elle rentrait vers 20-21 heures, exténuée après avoir passé une douzaine d’heures dans sa clinique. Elle s’occupait de deux services fondamentaux : cardiologie et urologie. Un environnement anxiogène et stressant compte tenu de la situation. Déménager dans une résidence étudiante m’a beaucoup apporté.
Elle m’a même tout donné. Nous sommes plus d’une centaine réunis dans ce même bâtiment marseillais. Une centaine appartenant à la même promotion. C’est complètement différent de Clermont-Ferrand où mes amis et moi étions tous assez éparpillés. Sur le campus, il règne toujours une ambiance chaleureuse, presque familiale. Mes voisins sont devenus mes amis. Bien qu’ayant chacun notre propre studio étudiant, nous nous retrouvons toujours pour passer la majorité de la journée ensemble, que ce soit pour travailler, manger ou nous changer les idées.
Retrouver mon indépendance perdue
Lors du deuxième confinement, à l’automne, j’ai donc beaucoup mieux vécu les effets des contraintes sanitaires. Parce que, pendant le premier confinement, j’ai vraiment découvert la définition du mot « solitude ».
J’ai dû quitter Clermont-Ferrand pour suivre ma classe préparatoire seule, dans la maison où j’ai grandi en Provence. Toutes les journées se ressemblaient : réveil vers 7 h 30 – 8 heures, petit-déjeuner, cours, repas de midi, cours encore, puis travail jusqu’à pas d’heure. J’étais en classe préparatoire et, la prépa, ça ne laisse pas de week-ends ou de vacances. Le repos, dur d’en trouver.
Pour intégrer une école d’ingénieur, il fallait bosser. Suivre les cours ne suffisait pas. Je devais travailler jusqu’à tard dans la nuit parfois. La pression était omniprésente : un, deux, trois, parfois même cinq examens la même semaine. Il fallait être à la hauteur pour espérer l’école de ses rêves. J’ai tout donné, énormément travaillé.
Élodie Emery est journaliste à l’Express. Le confinement fut pour elle l’occasion de vivre une nouvelle expérience : la vie en communauté. Au milieu de dix personnes, adultes et enfants, elle raconte ce qu’elle a vécu avec humour.
Confinement : « Après vingt minutes de discussion, nous avons instauré le jour larbin » https://t.co/mjiincn0UQ
— L’Express (@LEXPRESS) March 19, 2020
Aujourd’hui, la situation s’est améliorée. Je respire à nouveau. Mieux même, je revis. Nouvelle école, nouvelle ville. Nouvelle rentrée, nouveau départ. Quand j’ai intégré l’école Centrale Marseille, j’étais heureuse. Enfin, cette période était derrière moi. J’allais retrouver mon indépendance, celle que j’avais perdue lorsque j’avais quitté ma résidence de Clermont-Ferrand pour me confiner. Petit à petit, j’ai vu la solitude disparaître, les mauvaises pensées chassées de mon esprit. Finis les tracas à la moindre occasion.
Après-midis plage ou randonnée, voile sur la Méditerranée
La solitude amène à des temps de réflexion et d’introspection pas toujours positifs. Je pensais à tout, tout mais surtout à ce qui n’allait pas. À quel point je manquais de confiance en moi, à une éventuelle rupture avec mon copain, à mon frère qui habite à l’autre bout du globe en Nouvelle-Calédonie et que j’avais vraiment besoin de revoir, à mon père avec qui j’ai toujours eu des relations distantes… C’était horrible d’avoir sans cesse en tête des scénarios négatifs. Malgré ma jeunesse, j’avais peur. Peur d’être contaminée, de développer une forme grave, de perdre mes proches. Ça m’a profondément affectée.
Ce qui a changé en résidence universitaire, c’est principalement ma manière de penser. Ou plutôt de ne pas penser, justement. J’ai découvert tout l’apaisement que procure un esprit vide, sans questionnements incessants. Mes journées sont tellement remplies que je n’ai le temps de penser à rien. Les sorties en tout genre s’enchaînent : après-midis plage ou randonnée, apéros entre amis, voile sur la Méditerranée, animations à l’école, ou encore simplement regroupement le soir au sein de nos résidences. Je bouge sans cesse. Je suis toujours entourée. Je peux juste profiter du moment présent.
Le campus est devenu ma grande maison
Nous sommes tous loin de notre famille, à ne connaître personne d’autre que nos camarades de promo. C’est peut-être ce qui a facilité la création de cette atmosphère familiale. C’est peut-être aussi ce qui nous permet de vivre tous ensemble cette crise dans une atmosphère plus sereine. Nous pouvons compter les uns sur les autres.
Avec le couvre-feu, la famille soutient ou oppresse. Abdel vit avec ses proches dans un 50 mètres carrés… qui devient vite petit une fois tout le monde réuni. Au risque de prendre des amendes, il continue de sortir pour se respirer.
Finalement, les murs qui nous séparent de l’extérieur ne sont pas les petites portes de nos studios, mais les grandes portes du campus. À l’intérieur, nous sommes tous ensemble, comme une grande famille.
Léa, 20 ans, étudiante, Marseille
Crédit photo Pexels // CC cottonbro