Mes jobs étudiants, mon indépendance à tout prix
J’ai cherché à prendre mon indépendance très vite, pas parce que je ne m’entendais pas avec ma famille, mais parce que je sentais que je devais découvrir certaines choses par moi-même. Mes parents habitent en campagne, j’ai donc décidé de m’exiler en ville pour le lycée, en internat. Après ces trois ans, je suis partie une année en Irlande avec toujours ce désir d’être indépendante. J’ai eu mon premier job là-bas comme jeune fille au pair. La maman me donnait l’argent en liquide et je me suis très vite retrouvée avec une grosse somme en poche. J’étais obnubilée et je comptais souvent les billets.
Quand je suis revenue en France, il était hors de question pour moi de vivre chez mes parents, cette maison n’était plus la mienne.
Deux jobs étudiants et du babysitting
Bien décidée à reprendre mes études, j’ai trouvé un appartement sur Bordeaux avec un loyer plutôt raisonnable. Mes parents ont tout de suite voulu m’aider et ça a été très dur de les laisser faire. Ils voulaient absolument participer. On est donc partis du principe que, comme ils me gardaient sur le foyer fiscal de la famille pour payer moins d’impôts et que ça m’empêchait de toucher les bourses, ils seraient ma bourse. Je ne voulais pas que, sous prétexte d’être mes parents, ils m’en donnent plus. On a donc calculé ce que j’aurais dû toucher si j’avais les bourses.
Ma première année de fac s’est plutôt bien passée. J’avais encore pas mal d’argent de côté grâce à l’Irlande. Je sortais souvent avec mes ami·e·s, mais j’étais assez raisonnable. Je ne suis pas quelqu’un de très matériel donc je ne m’achetais que très peu de vêtements. Mais l’été est arrivé, les sorties se sont intensifiées, et l’argent s’est envolé. J’ai trouvé un travail mais ce n’était pas assez. J’en ai donc trouvé un deuxième. Et, malgré les heures, j’ai bien profité de mon été.
Le manque de jobs étudiants depuis le début de la pandémie a empêché un grand nombre d’entre elles et eux de travailler, les plongeant davantage dans la précarité. France.tv Slash s’est intéressé aux impacts psychologiques et socio-économiques de la crise sanitaire sur les jeunes :
Mais, à la rentrée, je n’avais pas vraiment économisé et les boulots d’été ont été reconduits pour l’année. La fac a repris et je me suis dit que je pourrais tout gérer. En quelques mois à peine, j’étais de nouveau bien financièrement, j’avais même des babysittings réguliers en semaine. J’avais comme objectif de partir en Nouvelle-Zélande après ma licence, il me fallait donc des économies. Je sortais souvent avec mes amies le soir, j’avais la belle vie.
Jobs étudiants : l’appel de l’argent était plus fort
La charge de travail était cependant conséquente. Une journée à cette époque pouvait ressembler à ça : je commençais les cours à 8 h 30, je finissais à 11 h 30, puis je devais être à midi au restaurant où j’étais hôtesse d’accueil. Je finissais à 17 h 30. À 18 heures, je devais être chez une personne en tant qu’auxiliaire de vie pour, au final, être à 20 heures chez le petit que je gardais jusqu’à 1–2 heures du matin. Mes notes à la fac ont commencé à chuter. Je n’étudiais plus chez moi, trop occupée à travailler ou à sortir. Et quand j’allais en cours, c’était pour rattraper mes heures de sommeil ou alors je partais en avance pour arriver à l’heure au travail, et pouvoir donner toujours plus d’heures. Cette situation m’allait très bien. J’aime étudier, mais l’appel de l’argent était plus fort.
Je ne gagnais pas des masses, mais assez pour mon style de vie. Je me suis même dit que je pouvais recommencer à prendre des cours de danse. J’avais arrêté pour me concentrer sur le bac. J’ai donc décidé d’arrêter un des boulots (celui qui ne payait pas bien : auxiliaire de vie). Ça m’a dégagé mes week-ends. Pourtant, à peine ma lettre de démission envoyée, je signais déjà un contrat plus gros dans le restaurant où je travaillais. Mes week-ends étaient de nouveau pris, mais j’allais gagner plus. Tant pis pour la danse…
À la fac, larguée dans beaucoup de matières
Je ne rentrais pratiquement plus voir mes parents, à toujours courir à droite à gauche. Sans m’en rendre compte, l’argent était devenu une obsession. J’aimais sortir et me débrouiller seule. J’avais trop peur de manquer de quelque chose et de devoir demander de l’aide alors que je criais sur tous les toits que j’étais indépendante. Une très bonne amie à moi m’a dit qu’il fallait que je ralentisse et que j’apprenne à dire non, et même si j’étais d’accord avec elle, je n’ai pas arrêté. Puis, je suis arrivée en troisième année de fac.
La difficulté a encore augmenté et j’étais larguée dans beaucoup de matières. Je n’ai pas eu mon premier semestre, je n’étais pas loin, 9,21, mais pour moi ça a été une catastrophe. J’ai commencé à faire des crises de panique. Je ne pouvais pas arrêter de travailler parce que c’est ce qui m’apportait de l’argent et même si à ce moment j’avais pas mal d’économie de côté, ayant le désir de vivre à l’étranger l’année suivante, j’en voulais toujours plus. Et en même temps, il était inconcevable pour moi que je redouble ma troisième année. J’étais à bout de force et je savais que je ne tiendrais pas une quatrième année comme ça.
Avec le confinement, j’ai enfin eu le temps d’étudier
L’annonce du premier confinement a été un soulagement. Je ne pouvais plus travailler au restaurant, la famille du petit que je gardais est partie se confiner ailleurs et j’ai enfin eu le temps d’étudier les cours que les profs me donnaient. J’ai recommencé à rendre des devoirs avec le sentiment d’avoir tout donné et que ce n’était pas bâclé parce que le devoir avait été fait en pleine nuit. En reprenant un rythme normal, j’ai réussi à avoir mon année, ce qui n’était pas gagné. Après le confinement, je suis retournée au restaurant, puis j’ai trouvé un service civique et j’ai décidé de ne pas travailler à côté, de prendre du temps, juste pour moi.
Tous les week-ends, Lili entretient les locaux d’un musée et de bureaux pour payer ses études. Fière de recevoir un salaire et de gagner en expérience, c’est pour elle bien plus qu’un job étudiant.
Je ne sais pas pourquoi, mais gagner de l’argent a créé chez moi une dépendance dans laquelle j’étais prête à me perdre. Alors que, même si ma famille ne roule pas sur l’or, elle gagne assez pour vivre bien. Je pense que cette tendance à en vouloir toujours plus sera toujours en moi, mais cette expérience m’a permis de me rendre compte qu’à vouloir trop en faire, on fait les choses mal.
Solène, 23 ans, volontaire en service civique, Bordeaux
Crédit photo Unsplash // CC Atoms