Charlotte L. 25/11/2019

Parole de prof (5/6) : « Une carrière de fonctionnaire me rassurait mais je me plantais »

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Institutrice, c'est la garantie de l'emploi mais pas forcément la stabilité. Surtout qu'on dépend du « mouvement », un système de points...

Ado, je désirais faire n’importe quel métier mais pas celui-là. Mon premier argument était : « Je ne veux pas d’un métier routinier. » Maintenant que je suis professeure, je me dis : « Eh bien ma petite tu t’étais bien plantée à propos de ton futur métier ! »

En licence de langue, littérature et culture italiennes, la morosité du marché du travail rabâchée dans les médias commençait à m’effrayer et l’idée de transmettre un savoir qui me passionnait commençait à me plaire. Une carrière de fonctionnaire comme un long fleuve tranquille me rassérénait. Je me plantais… un peu.

La mobilité, une grande angoisse quand on construit un foyer

Après trois échecs aux oraux du CAPES d’italien (peu de places disponibles, des concurrents italiens et peut-être un manque de confiance en moi), je m’inscris au Master d’enseignement du premier degré, pour enseigner au plus petits. Deux stages en élémentaire et un en maternelle me confortent dans ce choix. Mais un petit caillou est venu laisser une onde dans mon long fleuve tranquille : devenir titulaire de son poste. Dans mon département, à moins de postuler pour un poste de direction, le délai pour être titulaire d’un poste proche de son domicile est au minimum de cinq ans. La mobilité peut être intéressante dans cette profession mais aussi une grande angoisse quand on commence à construire un foyer.

Je l’ai compris lors de ma première participation au « mouvement » en juin 2018. C’est quand on postule pour un ou plusieurs postes : on formule des vœux sur une plateforme en ligne et un algorithme nous attribue une circonscription puis un poste en fonction de nos points d’ancienneté, du nombre d’enfants, du lieu de travail du conjoint (rare), etc. Je n’ai pas obtenu d’affectation avant les vacances d’été. À la rentrée, j’ai donc passé la première semaine dans une école à presque deux heures de route de chez moi (pour un coût de trajet supérieur à 30 euros/jour) en tant que « professeure en surnombre ». En attendant qu’un poste s’ouvre ou se libère ailleurs. J’ai été chanceuse : au bout de trois jours, j’ai bénéficié d’une ouverture de classe dans une école maternelle à quarante minutes de chez moi sans frais d’autoroute pour le lundi d’après. Pendant que des personnes de ma promo ont été envoyées loin de chez elles et ont dû déménager.

En tant que jeune professeure, j’ai besoin de passer du temps à préparer ma classe. La formation des professeurs des écoles est assez théorique, avec peu de stages, alors quand on débute, on apprend encore tous les jours. Travailler dans une école loin de chez moi est alors une perte de temps précieux, me causant un stress et une fatigue supplémentaires.

Quatre écoles différentes avec quatre niveaux différents

En juin 2019, les règles du « mouvement » ont changé : chaque participant est censé obtenir un poste dont il serait titulaire. Bonne nouvelle ? Sauf qu’avec mon unique année d’ancienneté je ne pouvais pas espérer grand chose. J’avais peur d’être expédiée dans les confins montagneux du département. Avec mon conjoint, on s’imaginait déjà devoir louer un second logement alors qu’on commençait à peine à rembourser un crédit immobilier. Les résultats arrivent, je deviens « titulaire de secteur » : je remplace des collègues qui travaillent à temps partiel. Là encore, c’est la règle des points d’ancienneté qui s’applique : la circonscription que j’ai obtenue me permet d’avoir des écoles à quarante minutes de chez moi au minimum. C’est toujours mieux que la montagne, mais je continue à croiser les doigts.

J’obtiens une affectation dans quatre écoles différentes avec quatre niveaux différents, en maternelle et en élémentaire, au maximum à quarante-cinq minutes de route de chez moi, avec un peu d’autoroute. Je suis plutôt satisfaite puisque ma priorité était uniquement géographique cette année. Je prends cette affectation comme l’opportunité d’observer le fonctionnement de différentes écoles et de collègues plus expérimentés que moi. En outre, ce type de poste permet de cumuler deux fois plus de points si on y reste au minimum trois ans.

« Parole de prof » est une série de six témoignages de jeunes enseignant.e.s. En primaire, au collège, au lycée, ils ont décidé de faire des vagues pour dénoncer leurs conditions de travail :

1/6 : « J’enchaîne les établissements et ça m’use »

2/6 : « Dans le 93, sans moyens comment on tient ? »

3/6 : « C’est toute la profession qui n’est plus respectée »

4/6 : « Au collège j’ai carrément un rôle d’éduc spé »

Vacances de la Toussaint : la première période de l’année est terminée. Cela n’a pas été évident d’adopter une routine efficace avec chaque classe, n’étant qu’un jour par semaine avec les élèves. Je passe en coup de vent ! J’ai l’impression d’avoir quatre fois plus de choses auxquelles penser et, vis-à-vis des élèves, j’ai du mal à me sentir investie.

L’année prochaine, je participerai de nouveau au mouvement au cas où un miracle arriverait, m’aidant à obtenir un poste plus proche de chez moi et à temps complet sur une classe. Sinon, je garderai mon poste de titulaire de secteur et remonterai ses affluents, avec de nouvelles écoles et classes, en attendant de rejoindre mon fleuve tranquille.

 

Charlotte, 30 ans, salariée, Auvergne-Rhône-Alpes

Crédit photo Unsplash // CC Thought Catalog 

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