Couchsurfing : ma nuit sur le canapé d’un Iranien exilé en Suède
Nous arrivons à Stockholm, il est cinq heures du matin. Le train dans lequel nous avons embarqué a circulé toute la nuit, mais par soucis d’économie, nous n’avons pas réservé de lit. Le siège était dur, il était difficile d’abaisser le dossier sans gêner les passagers derrière nous. Je m’en suis donc passé, et n’ai pas beaucoup dormi.
Dans la gare, des regards haineux
La gare est vide à cette heure-là. Seuls quelques voyageurs sont assis par terre dans des coins un peu à l’écart. Dehors il fait trop froid. La fatigue me pèse. Je m’assoie un peu le temps que mon compagnon de voyage aille aux toilettes, je m’endors.
Je me réveille brusquement. J’ai peur qu’on nous vole nos affaires. Je tente tant bien que mal de ne pas sombrer dans le sommeil, mais très vite ,je comprends que je n’y parviendrai pas, alors j’accroche les sacs les uns aux autres en me servant des sangles. Je les attache à mes bras et mes pieds. C’est bon, je pense que cela devrait tenir.
Je me réveille, la gare semble s’être elle aussi éveillée. Mon ami à côté de moi pioche dans un paquet de céréales, il en met partout, j’ai faim.
Les gens qui passent autour de nous semblent pressés, affairés. Ils marchent vite et nous jettent des regards haineux. Je suis trop fatiguée pour me sentir gênée. Nous prenons la décision de partir pour ne plus nous faire remarquer.
Dehors, le soleil commence à réchauffer l’atmosphère. Je regarde mon téléphone et me connecte à l’application « couchsurfing », Arman vient de me répondre, il nous rejoindra dans l’après midi. Nous passons donc la matinée à nous promener dans la ville, le soleil me réveille et me réchauffe petit à petit. Alors que les premiers grands bâtiments semblaient très austères, nous arrivons près de la mer et la diversité des couleurs et des bateaux nous enthousiasment. Je commence à apprécier cette ville.
Arman, contraint à fuir l’Iran, son pays
Je reçois un appel d’Arman. J’ai lu sur son profil qu’il était iranien, j’ai peur de ne rien comprendre à cause de son accent donc je donne le téléphone à mon ami. Ils discutent un moment sans trop de difficultés, Arman nous donne rendez-vous et très vite, je le reconnais parmi la foule. Il nous sourit. Dans sa voiture, il exprime beaucoup de joie et d’énergie, il nous emmène dans un endroit excentré, près d’un lac, à dix minutes de la ville, où nous observons le coucher du soleil. Mon ami saute dans l’eau. Pour moi, ce sera un autre jour, elle est gelée.
Après cette baignade, nous rentrons chez Arman, c’est chez lui que nous logeons ce soir. Il nous a aménagé magnifiquement son salon, avec une quantité de coussins déposés sur le canapé-lit. Il nous a même préparé une table basse avec des spécialités iraniennes et les fameux bonbons suédois. Je crois que je ne vais pas réussir à me retenir.
Nous nous installons dans la cuisine. Pendant que mon ami cuisine, Arman commence à nous raconter son histoire. Acteur et réalisateur, il a fui son pays après avoir réalisé un film sur l’homosexualité. Fortement condamné dans son pays d’origine, il est officiellement réfugié politique.
En Suède, face au racisme
Il nous fait l’éloge des plaisirs de l’Iran, pays auquel il ne voue étonnamment aucune haine. Je me sens transportée par ses magnifiques descriptions et son amour pour ses habitants.
La haine, il l’a conserve pour ce pays dans lequel il a est obligé de vivre depuis six ans. Il nous explique qu’en Suède, le racisme est fortement enraciné, et qu’il n’a jamais réussi à tisser un seul lien. Les gens ne lui adressent pas la parole, et il attend donc la possibilité de partir en Allemagne ou en France. Je repense à ce Stockholm que je commençais grandement à estimer. Je me dis que la manière dont on peut considérer un pays, un lieu, une personne ou une activité peut varier en fonction de qui on est et de l’égard que l’on nous porte.
Arman commence à jouer de la guitare. Il me trouve timide car je ne fais que l’écouter, sans oser l’interrompre. La vérité c’est que je souhaiterais que cet instant ne s’arrête jamais. Il joue des airs que je n’ai jamais entendus, mais qui ont un goût d’orient, sans doute ceux de chez lui.
Je les écoute ensuite parler, lui et mon ami, de religion, de politique, d’art et de divers autres sujets. Sur La Alegria de Yasmin Levy, je me sens emportée. En fermant les yeux, j’ai l’impression de flotter. Je me rends compte de la chance que j’ai de partager ce moment avec eux. Je m’assoupis.
Les voyageurs, seuls contacts avec le monde extérieur
Le lendemain, je me réveille dans ce lit rempli de coussins. Arman nous a préparé du café et un bon petit déjeuner. C’est un peu abattu qu’il nous conduit au port, pour que nous prenions notre ferry pour Talinn. Je réalise alors que les seules personnes avec qui il réussit à avoir des contacts, ce sont les voyageurs, qu’il semble accueillir régulièrement. Une dernière accolade, et nous partons. Je me retourne, la voiture est à peine visible. Je repense à cette soirée, et suis à la fois triste et heureuse de cette rencontre éphémère.
Cette expérience de couchsurfing, je l’ai réitérée dans plusieurs pays, chez plusieurs individus. C’est plus que bénéficier d’un lit et d’une douche gratuite. Ce sont des personnes, souvent seules, qui, dans la plupart des cas, ne travaillent pas ou travaillent depuis chez eux, et qui nous ouvrent les portes de leur vie.
Ce sont des expériences qui marquent, des personnalités qui nous offrent une vision de leur pays souvent différente de celle qu’on a pu expérimenter par soi-même.
Ce voyage que m’a offert Arman a eu un fort impact sur moi, et dans quelques mois, je partirai à la découverte de ce magnifique pays qu’il s’entête à aimer malgré l’évidente non-réciprocité.
Mélissa, 23 ans, étudiante en histoire et philosophie, Montpellier
Crédit photo Camille Cohendy
C’est quand même le monde à l’envers: ce pays le reçoit, lui permet de vivre librement et d’avoir son chez-lui. Mais tout ce qu’on trouve à dire, c’est que ce pays ne lui exprime que de la haine.
Oui quand on est différent et qu’on vient de loin, ça prend du temps d’être admis par les habitants, rien d’anormal ou d’inhumain à tout ça. Mais ce discours de reproche contre un pays qui accueille des étrangers et leur offre l’opportunité d’être heureux alors que chez eux ce n’est plus possible est vraiment insupportable!