4/4 À 15 ans, je travaille déjà

Plus tard, je veux gagner beaucoup d’argent pour tout donner à ma mère. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, elle touche seulement l’allocation de la CAF : 700 euros. Avec un peu d’argent à côté grâce à mon oncle, on arrive à 1 000, 1 200 euros. À partir du 15 ou 16 du mois, il nous reste que 200 euros, 300 max, pour tenir jusqu’à la fin.

Pour les courses, on va dans les supermarchés les moins chers. Notre frigo est souvent rempli au début du mois, mais à la fin on n’a plus rien. On mange les restes, et on fait avec ce qu’on a. Tout ce qui est légumes et fruits, ma mère va les acheter au marché.

Mon oncle et ma mère ont une boutique de couture. Ensemble, ils essaient de faire en sorte que l’entreprise marche bien. Ça doit faire cinq ou dix ans qu’elle existe. Mon oncle, c’est comme un père pour moi. Il est toujours derrière nous, à nous aider. Mon vrai père, il est mort pas longtemps après ma naissance.

On habite à côté de l’autre travail de ma mère. Chez moi, on est que trois : moi, ma sœur et ma mère. L’appartement n’est ni grand ni petit, ça nous va, on ne s’en plaint pas. J’ai ma chambre que pour moi et ça me va aussi, parce que personne ne sait ce que je fais, personne ne verra si je vais bien ou pas. Je m’y sens bien, c’est comme ma safe place.

Gérer les impôts, la CAF et l’Urssaf à 10 ans

Depuis mes 10 ans, j’ai la notion de l’argent. Je sais le gérer. À cet âge, c’est moi qui appelais pour faire le contrat d’électricité, prendre la box internet, gérer les impôts, la CAF et l’Urssaf. Mon oncle et ma mère parlent tamoul, et pas très bien français. Du coup, pour les papiers c’est compliqué.

J’ai accès depuis petit à leurs comptes bancaires et mails pour vérifier tout le temps ce qu’ils reçoivent et ce qu’ils dépensent. IBAN et RIB, je sais ce que c’est depuis longtemps. J’avais l’impression que tout le monde faisait la même chose à mon âge, mais en fait ce n’est pas du tout le cas.

J’aide mon oncle à la boutique. Je fais plein de trucs, genre les papiers administratifs. Il y a des mois où je ne gagne pas beaucoup d’argent, et d’autres où je gagne vraiment beaucoup : ça peut aller de 10 à 700 euros. Je ne garde pas tout l’argent pour moi : je donne toujours la moitié à ma mère. Avec le reste, je me fais plaisir et j’économise. Je me suis acheté moi-même mon tel et mes AirPods, mais je ne peux pas me permettre de m’acheter beaucoup de vêtements ou de nouvelles paires.

En été, ma mère gagne plus d’argent à la boutique, parce que c’est là qu’il y a les mariages et les fêtes. Ça lui fait beaucoup de travail. Elle doit se lever tôt pour nous faire à manger, puis elle part. Quand elle rentre le soir, il y a de la vaisselle, la machine à faire, plein de tâches ménagères. Pendant les cours, je ne la vois presque jamais.

Pour qu’elle s’achète des fringues et des bijoux

Ma sœur demande tout le temps de l’argent pour des fast-foods. Quand elle sort avec ses potes, elle achète à manger ou à boire, et c’est souvent comme ça qu’on perd de l’argent. Je trouve ça dommage. Ma mère est beaucoup trop gentille, ça lui fait du mal de lui dire non.

SÉRIE 1/4 – L’argent n’avait jamais été un sujet entre Amélia et ses parents, jusqu’à l’inflation. Fini les restos en famille. L’argent de poche aussi.

Je ne peux pas dire à ma sœur ce qui se passe réellement. Quand elle a besoin d’argent, je la dépanne parce que je ne peux pas laisser ma mère lui en donner. Chaque sou est important. Ma mère, ça fait plusieurs années qu’elle ne s’est pas fait plaisir. Elle ne s’achète rien, car elle veut nous faire plaisir à nous.

Mon rêve pour plus tard, c’est de gagner plein d’argent pour lui donner, et qu’elle se fasse plaisir. Je veux qu’elle puisse s’acheter des fringues et des bijoux, qu’elle s’achète ce qu’elle aime. Et ne plus la voir galérer avec l’argent.

Xavier, 15 ans, lycéen, Lille

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)