Eliot L. 09/02/2022

4/4 J’ai acheté ma moto et ma liberté

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Eliot vit dans un village éloigné de tout. Alors, dès qu’il en a eu les moyens, il s'est payé une moto pour pouvoir se déplacer quand il veut.

2 000 euros par frère avec l’héritage d’un grand oncle de mon père. Antoine, le plus grand, l’a utilisé pour investir dans une voiture. Pierre, le deuxième, a utilisé les trois-quart dans un ordinateur et le reste pour payer son loyer. Colin, le troisième, pour s’acheter un ordinateur plus puissant. Et moi, je m’en suis servi pour acheter ma moto.

J’ai toujours voulu avoir une moto pour rouler seul et avoir une pleine liberté de mouvement. Dans mon village, les transports en commun c’est limite le néant. Je vis à la campagne dans un petit village de 800 habitants, loin de tout. Pour prendre le bus pour aller à la ville la plus proche, c’est une heure à pied. En plus, je suis à vingt minutes de marche du village. Alors, à partir du moment où j’ai eu ma moto et mon BSR (brevet de sécurité routière), ce fut le début de mon autonomie. 

À 20 minutes à pied du village

J’ai eu mon BSR pile le jour de mes 14 ans et ma moto deux semaines après, même si j’ai commencé à en chercher une avant. J’ai mis du temps à la trouver. J’ai d’abord cherché d’occasion, sans réussite. Toutes celles dans mon budget étaient soit trop vieilles et trop abîmées, soit modifiées et donc pas fiables. Puis, je suis tombé sur LA MOTO dans un magasin qui n’en vend que des neuves. Elle était aussi chère que celles d’occasion à peu près potables : 2 000 euros, c’était pile mon budget.

Cette moto a un style original pour une 50cc (les premières motos autorisées à partir de 14 ans) : c’est une Scrambler, une moto neuve mais avec un style vintage créé après la Seconde Guerre mondiale (quand les particuliers retapaient des motos avec des pièces détachées). Elle consomme très peu d’essence, donc c’est moins cher pour me déplacer. Après trois ans, elle est toujours en super état, sans jamais avoir eu besoin de réparation.

Aller au cinéma à plus de 50 kilomètres sans hésiter 

Avec ma moto, c’était donc le début d’une nouvelle vie sociale. Tous mes potes habitent dans d’autres villages, c’était impensable d’y aller à pied pour une après-midi. J’aurais pu demander à mes parents, mais mon père travaille beaucoup et n’est pas chez moi trois jours par semaine. Et ma mère est infirmière, elle est souvent fatiguée après le travail. Je sais qu’en cas de besoin, ils seront toujours là pour m’emmener mais, pouvoir me débrouiller, c’est pour moi comme une reconnaissance de tout ce que mes parents font pour moi. 

Série 1/4 – Jeanne a grandi dans un des départements les moins peuplés de France. Pas facile d’avoir une vie sociale quand on a 16 ans et que les transports en commun sont quasiment inexistants.

Au fond, une femme est seule dans un bus, les mains collées à la vitre. Devant, plusieurs personnes marchent.

Mon pote le plus proche est à plus de trente minutes. Depuis que j’ai ma moto, j’y suis en cinq minutes. Je peux aller voir mes potes quand je veux, et plus juste à travers un écran. Je les vois minimum une fois dans la semaine en dehors des cours, sans compter les soirées. S’il y en a une qui est organisée au dernier moment, je suis sûr de pouvoir y aller si j’en ai envie. Un jour, je suis parti en soirée un vendredi soir et j’ai pu aller le lendemain au cinéma à plus de cinquante kilomètres sans hésiter. 

Aujourd’hui, je me rends compte à quel point ma moto m’a changé la vie. Je remercie mes parents de me soutenir pour payer l’essence et d’avoir confiance en moi pour toujours rester en sécurité sur la route. J’ai aidé à nettoyer plus la maison et à faire plus de jardin que d’habitude. En échange, ils m’ont payé l’essence. Puis, au fil du temps, ils me l’ont juste payé. 

Je leur rends en me débrouillant seul au maximum. Parfois, je m’en sers même pour aller en cours si je commence plus tard ou finis plus tôt. Ça me permet de toujours être libre sans jamais être bloqué sans moyen de transport.

Eliot, 17 ans, lycéen, Loire

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Jeunes des villes, jeunes des campagnes

L’origine géographique, vecteur d’inégalités

Si la profession des parents affecte le parcours scolaire de leurs enfants, le lieu de vie joue aussi un rôle. 12 % des 17-23 ans issu·e·s de territoires ruraux considèrent leurs choix d’études supérieures comme ambitieux, contre près du double en agglomération parisienne. Les jeunes de petites communes rurales estiment avoir moins confiance en elles et eux que celles et ceux de la capitale.

Un sujet qui ne date pas d’hier

Les préoccupations des jeunes ruraux n’ont pas beaucoup changé en trente ans, comme le montre ce reportage de 1987. On y retrouve l’importance de la mobilité pour avoir une vie sociale, la rareté des infrastructures de divertissement et l’attachement au cadre de vie de la campagne. 

Sortir de l’ombre

Depuis fin 2021, les antennes locales de France Télévisions brossent treize portraits de jeunes qui ont grandi, comme 60 % d’entre elles et eux, loin d’une métropole. Dans les deux premiers épisodes de la série documentaire Jeunesse (in)visible, on rencontre Juliette, jeune aveugle, autiste Asperger et autrice de chansons, et on suit les ambitions de Malo, apprentie forgeronne et rêveuse. 

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