Jeannette L. 01/12/2021

1/4 Bonjour restauration, adieu mes relations

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Pour payer son logement étudiant, Jeannette a travaillé tout un été en restauration. Mais son travail l'a coupée de sa vie sociale.

« Tu verras, en restauration, les horaires c’est ingrat. Adieu les copains ! » Mon père m’avait pourtant prévenue. Été 2017, le dernier été avant d’entamer mes études supérieures. À la rentrée, je devrai payer un logement, mon premier logement. J’avais été admise en DUT techniques de commercialisation, à Caen. D’ailleurs, je me demande encore pourquoi j’ai, un jour, eu l’idée de me tourner vers le commerce. Bref. Qui dit premier logement dit premières dépenses importantes. Heureusement, j’avais droit à la CAF [caisse d’allocations familiales], mais ça restait une grosse somme d’argent à débourser chaque mois. Une nouveauté pour moi, habituée à la vie chez mes parents.

Une proposition qui tombe à pic

À ce moment-là donc, Cyrille, un ami de mes parents, me propose un job de deux mois en tant que serveuse dans l’un de ses restaurants, à Honfleur. Inutile de vous préciser qu’à Honfleur l’été, c’est l’enfer. Un monde fou ! Et pas toujours les touristes les plus sympathiques… Mais bon, j’avais besoin d’argent pour la rentrée. Je comptais chercher ailleurs qu’en restauration, mais là, l’occasion se présentait. Mes parents sont profs et, surtout, on est quatre dans ma fratrie. Ils ne pouvaient pas nous aider à payer chacun nos loyers. Je n’avais pas le choix. Puis, pour être honnête, l’idée d’être indépendante financièrement me plaisait ! Et de travailler aussi.

Moi, le service, ça ne me connaissait pas du tout. Mais Cyrille m’avait dit qu’on me formerait sur le tas, que ça irait. Ça a été le cas. Mais s’il y a bien une chose à laquelle je ne m’étais pas préparée, c’est bien les horaires. Mon père me l’avait dit pourtant. Adieu les copains. Si j’avais su à quel point cette phrase sonnerait vraie, cet été 2017. Naïvement, je pensais avoir le temps de travailler et de profiter de mon été. De mes proches surtout.

La restauration, mauvais deal pour les couples

Par « mes proches », j’entends Thomas, mon mec de l’époque, et tous mes amis. J’étais avec lui depuis six mois et on sentait bien, lui comme moi, que ce n’était pas une « petite aventure de lycée ». La preuve, ça a duré trois ans. Bref. Cet été-là, c’était notre premier été à deux. Mais pas le meilleur. Cinq jours sur sept, je commençais à 9 heures, pour terminer à 15 h 30, voire 16 heures quand il y avait du monde, et reprendre à 18 heures, jusqu’à minuit minimum. Autant dire qu’à côté du taf, je n’avais pas de vie sociale. Pendant ma pause, je rentrais et je n’avais qu’une envie : dormir. En plus, je sentais le graillon, alors mon humeur laisse tomber. Du coup, cinq jours sur sept, on ne se voyait pas avec Thomas. Mais encore ça, ça va.

Ce qui pesait sur notre couple, c’était mon humeur surtout. J’étais tout le temps, soit fatiguée par le service, soit énervée par les clients désagréables. La restauration, ça te tend : il faut toujours aller vite, les pauses se font rares et, malgré ça, il faut rester aimable. Pas facile. Et forcément, c’est Thomas qui prenait. Quand on n’est pas bien, c’est toujours avec les gens dont on est le plus proche qu’on est le plus dur. C’est carrément injuste en fait. Bref. On ne parlait que par message cinq jours par semaine, et moi, j’étais sur les nerfs. Donc très très très susceptible.

J’avais besoin de lui. Parfois, je regardais mon téléphone sous le bar discrètement. Et si je n’avais pas de réponse de sa part, ça me vexait. Je me disais : « Moi, je suis occupée, lui il est censé me répondre vite comme il ne travaille pas. » Puis, au moindre message que je jugeais « froid », genre « d’acc », j’étais saoulée. J’aurais pu en pleurer tellement j’étais crevée. J’étais hyper reloue en fait. Les messages, ça peut porter à confusion. Puis, avec une susceptible comme moi…

Loin de tout

Tout ça était lié, je pense, au fait que je ne voyais personne d’autre que mes collègues et les clients du restau. Enfin, cinq jours sur sept. Pas même mes amis : je n’avais pas le temps. Et Thomas habitait à quarante-cinq minutes de là où je travaillais, donc ça ne valait pas le coup, ni sur le temps de ma pause, ni le soir. Quelques fois, on l’a fait et ça nous a fait du bien, mais ça faisait beaucoup de trajet pour peu de temps ensemble. Heureusement, on se rattrapait sur mes congés, avec Thomas comme avec mes potes.

Série 2/4 – Pour Vincent, travailler en cuisine, c’était comme aller en boîte. Rythmé par la musique et la consommation de drogues, son taf était un lieu de fête.

Illustration de mains penchées sur une casserole. L'une d'elle saupoudre un joint pendant que les autres cuisinent.

Mais là, pareil : rattraper cinq jours en deux, c’est ric-rac. Puis, forcément, mes jours de congés ne tombaient jamais sur un samedi et un dimanche. C’était toujours des jours de merde. Donc oui, j’étais particulièrement fébrile parce que j’étais fatiguée, et que je n’avais pas le soutien, en tout cas physique, des gens que j’aimais. En fait, cinq jours sur sept, je me sentais loin de tout. J’avais l’impression de passer mon temps soit au restau, soit chez moi à essayer de dormir. L’impression de ne rien vivre d’autre que mon job d’été. De passer à côté de plein de trucs. Mes potes se voyaient tous les jours, allaient à la plage, buvaient des verres.

Chapeau !

Des gens réussissent mieux que moi à concilier vie sociale et restauration. Mais vraiment, à ceux-là : chapeau ! Et encore plus « chapeau » à ceux qui bossent dans la restauration et qui, en plus, ont des enfants. Je ne sais pas comment ils gèrent leur emploi du temps et leurs émotions, mais je les admire. En tout cas, de mon côté, une chose est sûre : je ne serai pas dans la restauration plus tard. Ah oui, et aussi, depuis que j’ai été serveuse, je ne râle jamais si on me sert lentement, et jamais avec mauvaise mine. Qui sait ? Peut-être que son mec lui a lâché un « d’acc » !

 

Jeannette, 22 ans, étudiante, Honfleur

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

La restauration, travailler plus pour gagner moins

237 000 salarié·e·s en moins en un an

Entre février 2020 et février 2021, le secteur de l’hôtellerie-restauration a perdu 237 000 employé·e·s, notamment à cause des fermetures d’établissements liées à la crise sanitaire. Mais depuis leur réouverture, le secteur peine à recruter : plus de 100 000 emplois sont actuellement à pourvoir.

1 432 euros nets par mois pour un·e serveur·euse

L’une des raisons de ce désamour : des salaires (trop) bas, qui dépassent rarement le Smic en début de carrière. Un serveur qui débute et qui travaille trente-neuf heures par semaine (en théorie, car en pratique le nombre d’heures supplémentaires explose) gagne 1 432 euros nets par mois. Même chose pour un·e plongeur·euse ou un·e cuisinier·e.

Des conditions de travail infernales

Les nombreuses contraintes imposées par le secteur participent à cette crise de vocation : horaires à rallonge, travail le soir, les week-ends et les jours fériés, stress, pression, rapidité et tâches répétitives. Les cuisinier·e·s et les employé·e·s de l’hôtellerie-restauration occupent respectivement les places une et deux du classement des dix métiers les plus pénibles en France.

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