Ahmed M. 19/09/2022

3/5 Une inconnue m’a aidé

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Seul, Ahmed ne savait pas vers qui se tourner quand il est arrivé à Paris. Heureusement, il a fait une rencontre qui a tout changé.

Je me rappelle du jour où je suis arrivé en France comme si c’était hier. 

C’était au mois de septembre 2021, il faisait froid. Je suis descendu à la gare d’Austerlitz. Je ne connaissais personne. Il y avait aussi de la pluie qui tombait. C’était un calvaire pour moi. Je voyais les personnes descendre et monter dans les escalators. Tout le monde était pressé, j’étais complètement perdu. Je me voyais dans un autre monde. Je suis resté à la gare, à tourner là-bas jusqu’au soir.

Première rencontre

Avant qu’elle n’arrive, j’avais demandé à beaucoup de personnes qui me répondaient « désolé » ou « non » directement. D’autres ne me répondaient même pas. Quand une vieille dame est venue me trouver, j’ai eu le courage de m’approcher d’elle. J’étais déjà fatigué et désespéré, je me suis dit : « Peut- être qu’elle aussi va me dire “désolé”, ou qu’elle ne va même pas répondre. » Mais, heureusement, ça été le contraire. 

Elle m’a demandé : « Est-ce que tu as besoin d’aide ? » J’ai répondu oui. Elle m’a demandé ma nationalité, et elle m’a donné ce qu’elle avait à manger dans son sac avec un jus de fruit. Après, elle m’a dit qu’elle allait m’envoyer à la Croix-Rouge de Paris ou à la police pour en parler avec eux. Je me suis senti un peu inquiet, parce que dans mon pays d’origine, quand on envoie la police, on est emprisonné. Je lui ai expliqué, mais elle m’a dit : « Ne t’inquiète pas, ici la police c’est pour te protéger. » J’ai commencé à me sentir bien et on est parti pour aller à la Croix-Rouge.

Des conseils pour prendre du courage

Sur la route, elle m’a demandé si j’avais un téléphone. J’ai répondu que oui, mais que je n’avais pas de numéro. Elle m’a trouvé une puce, elle m’a pris un numéro et elle a dit qu’elle allait m’appeler. Elle m’a laissé à la Croix-Rouge et ils m’ont envoyé dans un hôtel pendant deux jours avant de me faire passer une évaluation pour ma minorité. Ils m’ont demandé des papiers, j’ai fait un entretien et, une semaine après, ils m’ont envoyé la réponse pour me dire que j’étais reconnu mineur. Ils m’ont orienté vers la Semna (secteur éducatif auprès des mineurs non accompagnés) et ils m’ont envoyé dans un centre pour mineurs.

Tous les deux-trois jours, elle m’appelait pour prendre de mes nouvelles, pour me demander si je mangeais, si je dormais bien… Elle me donnait aussi des conseils pour prendre du courage. Dans son enfance, elle m’a dit qu’elle aussi avait vécu des choses difficiles mais qu’aujourd’hui, elle s’en était sortie. Elle me disait : « Rien ne se gagne facilement dans la vie. » 

Elle m’appelle « mon fils »

Un jour, au mois de février dernier, elle est venue à Paris pour qu’on se rencontre. Ça a été un très bon moment. On est allés dans un restaurant pour manger, on a causé de beaucoup de choses. Je lui ai parlé de mes projets d’études. Ce jour-là, elle était très contente et moi aussi. C’est la seule fois où je l’ai revue parce qu’elle est actrice, et elle est très chargée. Elle voyage beaucoup. Des fois, elle part en Angleterre, des fois en Amérique. Donc ce n’est pas facile de la revoir. Elle me manque mais comme on parle au téléphone et qu’on s’écrit, ça passe bien comme ça.

C’est comme si je communiquais avec ma maman biologique. Elle ne prononce jamais mon prénom ou mon nom, elle m’appelle « mon fils » ou « fiston ». On rigole ensemble. Elle me parle comme si elle parlait à son propre enfant. Des fois, même si ma voix est juste un peu bizarre, elle me demande si je suis malade ou si ça ne va pas.

Plein de rêves

Si elle ne m’avait pas envoyé à la Croix-Rouge, je ne serais pas reconnu par la Semna, qui s’occupe très bien de moi aujourd’hui. Maintenant, je suis scolarisé à la MLDS (mission de lutte contre le décrochage scolaire) et je vais commencer ma formation en CAP opérateur en septembre prochain. Je suis aussi très bien traité médicalement. J’étais malade et un docteur s’est occupé de moi. Je le vois chaque fin de mois pour faire une consultation, et je me sens très bien dans mon corps. C’est grâce à elle que je suis comme ça aujourd’hui. 

SÉRIE 4/5 – À 16 ans, Oumar est venu étudier en France. Mais depuis qu’il est majeur, il a du mal à être régularisé, et a peur de devoir partir.

Capture d'écran de l'article "je vis dans la peur du renvoi au pays", illustré par un dessin : la scène se passe à un angle de rue. Oumar est caché, d'une voiture de police, à l'étage dans un coin du bâtiment. Il apparait derrière le mur qui est transparent.

Je la remercie beaucoup, elle a été une très bonne personne pour moi. Le jour où elle m’a vu à la gare, c’était difficile pour moi, j’avais des soucis. Mais, grâce à elle, j’ai eu le courage de m’intégrer plus vite. Si je pense à ses conseils, à ses mots d’encouragement, je me réveille à chaque fois avec plein de rêves pour réussir. Je prie pour que le bon Dieu lui donne une longue vie. 

Ahmed, 16 ans, lycéen, Paris

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

Parcours migratoire : de l’insécurité à l’instabilité

Près de 5 000 personnes meurent chaque année en fuyant leurs pays, sur la route d’une vie meilleure. Les chiffres officiels sont difficiles à obtenir, mais l’ONU compte plus de 45 400 morts entre 2014 et 2021. Sur la seule journée du 24 juin 2022, au moins 27 Africain·es ont été tué·es par la police marocaine en voulant rejoindre l’Espagne. Les témoins parlent d’un déchaînement de violences de la part des autorités. 

 

Une fois de l’autre côté de la frontière, les nouveaux et nouvelles arrivant·es ne sont pas certain·es de trouver une vie stable. Précarité, travail non-déclaré, arbitraire policier, enfermement Le chercheur Stefan Le Courant a étudié la condition des sans-papiers en France.

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