Bocar F. 10/12/2021

Mineur isolé : combien de preuves faudra-t-il au juge ?

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À 17 ans, Bocar n'a pas été reconnu par la France comme mineur isolé. Après deux mois à la rue, il attend maintenant la décision d'un·e juge.

Octobre 2020. Je reçois une lettre du juge des enfants. Sur cette lettre, je lis que la France ne me reconnaît pas comme mineur et que, du coup, je ne peux pas être protégé. La lettre ne dit que ça. Moi, je me dit : « Qu’est-ce que je vais faire après ? » Je suis triste et en colère. En plus, dehors, il fait froid. « Alors quoi ? Maintenant, je vais dormir dans la rue ? »

À ce moment-là, j’étais hébergé à l’hôtel, à Pigalle. Comme je ne connais pas Paris, je ne me souviens plus où c’était. Les personnes de la Croix-Rouge m’avaient mis là-bas, le temps qu’ils fassent le test de minorité au Semna (secteur éducatif mineur non accompagné). Ça a duré une semaine. C’était bien, j’avais un lit, du chauffage, de la lumière, des draps, des rideaux, une douche, des serviettes propres, du shampoing, du gel douche, et même du parfum de chambre.

Il n’y avait pas de cuisine dans l’hôtel, mais les gens de la Croix-Rouge nous y amenaient à manger. Le matin, du café avec du pain et du chocolat. Le midi, du riz avec de la sauce et le soir, des salades. Ensuite, on dormait jusqu’au matin. Au réveil, je me lavais, je me brossais les dents et la journée recommençait. Je me sentais bien. Mais ça n’a duré qu’une semaine.

Mineur isolé, j’ai été remis à la rue

Au moment où j’ai reçu la lettre, la Croix-Rouge m’a dit que si la France ne pouvait pas me protéger, eux ne pouvaient plus m’héberger. Ils m’ont expliqué que le problème, c’était que j’avais donné une photocopie de mon acte de naissance, alors qu’il fallait l’original. J’ai demandé à quelqu’un que je connaissais en Gambie de m’envoyer l’original. Mais, en attendant, la Croix-Rouge m’a dit de faire mes affaires et de quitter l’hôtel. J’ai été remis à la rue. J’étais triste.

Ils m’ont donné le numéro d’un avocat pour faire un recours. Je l’ai appelé, il m’a donné rendez-vous une semaine plus tard. En attendant, j’ai dormi dans la rue, vers Montparnasse. Je suis allé là-bas parce que c’était grand. J’avais rencontré des Sénégalais, des Ivoiriens, des Maliens, des Gambiens, qui dormaient dans la rue. Je leur ai dit que je n’avais plus personne pour m’héberger. Ils m’ont dit que je pouvais rester avec eux.

Ma vie suspendue à la décision d’un juge

J’y suis resté deux mois. Je n’avais plus de matelas, plus de chambre. Je n’arrivais pas à dormir tellement il faisait froid, je n’avais pas de couverture. Pour manger, les gens qui étaient avec moi me donnaient du pain, des fois. J’avais faim. Comme je venais d’arriver, je ne savais pas qu’il y avait des distributions de repas par des associations.

J’ai raconté tout ça à l’avocat. Il m’a dit qu’il comprenait ma situation, mais qu’il fallait patienter. Puis, un jour, au bout de deux mois à vivre comme ça, le Semna m’a appelé parce que mon avocat leur avait donné mon numéro. Ils m’ont dit de venir dans leurs bureaux à Reuilly-Diderot. Mon référent m’a dit qu’il y avait une place pour moi au centre Archereau. Ils m’ont donné l’adresse.

La France a reconnu Ibrahim comme mineur isolé. Il est donc protégé, mais il se sent aussi privé de libertés.

Capture d'écran d'une photo où l'on voit l'intérieur d'une chambre, plusieurs lits, on aperçoit des jeunes hommes noirs assis ou allongés sur leurs lits. En bas de l'image, le titre de l'article : "mineur isolé, je suis accompagné mais libre de rien".

Ce jour-là, j’étais heureux, soulagé. Ils m’ont dit que je pouvais rester ici, le temps que ma situation avance. Depuis trois mois, j’attends la convocation du juge. En attendant, je vais à l’école faire des cours de français, pour patienter et éviter de penser que ma vie est suspendue à la décision d’un juge. J’en ai marre d’attendre, encore et toujours.

Bocar, 17 ans, en formation, Paris

Crédit photo Unsplash // CC AR

L’évaluation de la minorité

L’évaluation de la minorité, c’est quoi ?

Les mineur·e·s sont théoriquement protégé·e·s par l’ASE, qu’ils et elles soient en France de manière régulière ou pas. Pour s’assurer qu’ils et elles ont le droit à cette protection, l’État va vérifier qu’ils et elles sont bien encore mineur·e·s.

Les méthodes utilisées sont contestables

L’évaluation s’appuie sur une étude des documents d’identité : beaucoup d’exilé·e·s n’en ont pas, et celles et ceux qui en ont sont suspecté·e·s de fraude. Un examen du développement corporel est aussi effectué. Mais, tu l’as bien vu au collège… la puberté est assez inégale ! Ces méthodes ne sont donc pas fiables.

Les juges contredisent majoritairement les expertises

Dans la grande majorité des cas, l’évaluation indique que l’exilé·e est majeur·e. Cette conclusion est contredite par le ou la juge dans plus de la moitié des recours. Le problème, c’est que ces processus sont longs, et que le ou la jeune vit souvent à la rue tant que la minorité n’est pas établie.

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