Lucas A. 12/07/2021

3/4 Pas de job, pas d’études en septembre

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L’été dernier, Lucas a été licencié après quelques jours. Les aides alimentaires lui ont permis de survivre à son année d’études.

Huit jours. C’est le temps que j’ai passé au boulot l’été dernier pour mes études. « On est très content de toi », « tu apprends vite ». Le responsable du magasin était juste en train de me caresser dans le sens du poil, c’était flagrant. Alors j’attendais. Sa voix s’additionnait au brouhaha constant, mon regard était braqué sur son visage. Puis, il s’est arrêté de parler, joignant ses mains et les posant sur la table qui nous séparait : « On n’a plus besoin de toi. Le Covid, tu comprends. »

J’essayais de rester calme, m’imaginant galérer encore davantage l’année universitaire prochaine, faute de moyens pour me nourrir décemment tout en payant mon loyer, sans pouvoir demander un coup de pouce supplémentaire à mes parents. C’est mon avenir universitaire et professionnel que j’ai vu s’effondrer.

La peur de ne pas pouvoir continuer mes études

Pourtant, j’avais l’impression que je pouvais me projeter sereinement pendant trois mois en qualité d’employé polyvalent au sein de ce supermarché. Quel revirement de situation. Ça a été brutal et déconcertant, et jamais je n’aurais pu m’imaginer sans job d’été aussi brusquement. Pas après avoir déposé autant de CV. J’avais peur de ne pas pouvoir continuer mes études l’année prochaine, le loyer de ma chambre étudiante étant obligatoirement à ma charge.

« On n’a plus besoin de toi. » Sur ces mots, il m’a salué et s’est éloigné dans les rayons du supermarché sans que je puisse avoir le temps de lui répondre. Une collègue m’a interpellé, une file d’attente interminable de clients lui faisant face. Elle était seule et débordée. Je ne me suis pas retourné immédiatement, séchant mes yeux d’un revers de manche. Je savais que ma nouvelle l’impacterait et qu’elle comprendrait que sa propre position pourrait être menacée. Les clients défilaient et imposaient un rythme écrasant ne me permettant pas de la renseigner calmement.

J’avais galéré à trouver ce boulot, impossible de recommencer de zéro

Il était 17 heures lorsque je suis sorti du travail, déambulant dans les larges allées du centre commercial. J’aurais pu rentrer en bus comme d’habitude, c’était plus simple et plus rapide, mais j’avais besoin de gagner du temps. J’avais l’impression d’être comme un fantôme, mon esprit complètement dissocié de mon corps. Je réfléchissais aux conditions de mon retour à la maison, à comment je pourrais annoncer à mes parents que je n’avais plus de boulot, que je me sentais rabaissé, perdu, dans l’insécurité et énervé. Mais je me souviens avoir gardé une mine vide et placide, comme si le surplus d’émotions ne permettait pas à mon visage de réagir. J’étais dégoûté et j’avais peur de ne pas retrouver rapidement du boulot.

36 % des étudiant·e·s avec une activité rémunérée ont été contraint·e·s de l’arrêter pendant le premier confinement, selon Studyrama. Le Monde s’est penché sur les conséquences qu’a engendré la précarisation des jeunes depuis le début de la crise sanitaire.

Heureusement, je n’ai croisé personne sur mon chemin. Je n’aurais pas eu la capacité de faire semblant d’aller bien. De devoir défendre mon attitude au travail, de me présenter comme la victime d’une politique d’entreprise. Incapable de faire preuve d’enthousiasme en prétendant relancer ma distribution incessante de CV à droite, à gauche, n’importe où.

J’avais galéré à trouver ce boulot et je n’avais pas les capacités pour recommencer de zéro. Il m’était inconcevable d’être un poids supplémentaire pour mes parents qui n’ont pas les moyens de me soutenir davantage financièrement. Il est ouvrier, passe ses journées à se tuer sur les chantiers, et elle ne travaille pas.

Un contrat à très courte durée, puis un autre, et encore un autre

J’ai fini par apercevoir la façade de notre immeuble. J’ai gravi les étages me rapprochant de la porte d’entrée de notre appartement. Après une longue inspiration, j’ai toqué. La porte s’est ouverte sur ma mère. Nos regards se sont croisés et un silence s’est installé. Je lui ai emboîté le pas, laissant tomber mon sac sur le sol du couloir. Sous l’encadrement de la porte du salon, j’ai aperçu mon père sur le canapé, j’ai râclé ma gorge et, sur un ton monotone, je leur ai dit ces mots dont je me souviens toujours parfaitement : « C’est fini, ils n’ont plus besoin de moi, désolé. »

Contraint de gagner de l’argent pour pouvoir continuer mes études lors de la rentrée prochaine, j’ai repris les distributions de CV et de lettres de motivation. Comme des petits pains, physiquement, dans trois villes différentes, et virtuellement sur des sites internet de boîtes d’intérim. Un peu moins de deux semaines après avoir recommencé, j’ai reçu l’appel d’une agence d’intérim pour un entretien dans un énième supermarché.

Voilà que je signais un autre contrat à très courte durée, puis un autre, et encore un autre… Mais ça n’a pas suffi. Pendant l’année, je me suis rapidement retrouvé dépendant des aides alimentaires proposées par les associations étudiantes de mon campus. Et cet été, je n’ai toujours rien trouvé.

 

Lucas, 21 ans, étudiant, Aix-en-Provence

Crédit photo © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

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