Sarabelle T. 19/09/2022

5/5 Je ne sais pas si je reverrai ma mère

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Loin du Mali et de sa famille, Sarabelle ressent le mal du pays. Tout lui rappelle d’où elle vient.

J’ai quitté le Mali il y a six mois pour venir vivre en France. Au début, c’était vraiment difficile parce que j’habitais à l’hôtel avec des filles et des garçons qui venaient de différents pays d’Afrique. Le plus difficile, c’était les punaises qui étaient dans les chambres. La nuit, on se faisait piquer, on avait des boutons partout sur le corps.

Dieu merci, maintenant je suis dans un foyer avec d’autres jeunes qui sont dans la même situation que moi, et l’ambiance est vraiment bonne entre nous. Chaque semaine, on reçoit un peu d’argent de poche qui nous permet d’acheter des chips, des chewing-gums ou des chocolats.

Mineure isolée, même pendant les fêtes

J’ai fait le ramadan avec les autres jeunes de mon foyer. On a pu préparer la nourriture de nos pays d’origine : le tiep, le mafé, la soupe candia, etc. On mangeait à 4 heures du matin et on rompait le jeûne à 21 heures. Ce qui est bien, c’est qu’on mangeait ensemble, comme dans mon pays. Au pays, le ramadan c’est un moment important qu’on partage avec ses proches, sa famille. Donc c’était important pour moi de ne pas être seule.

Pendant la fête de l’Aïd, je me suis sentie tellement isolée et attristée de ne pas être avec la famille. Chez nous, on fête l’Aïd en grand : on achète le bazin, c’est une tenue traditionnelle pour les fêtes, des nouvelles chaussures et un sac. On se fait aussi une jolie coiffure. Tout le monde est sapé, la nourriture est bonne, on mange beaucoup de viande, on se cotise entre familles pour acheter du bœuf. Les enfants partent saluer les voisins et reçoivent de l’argent. C’est l’occasion pour les musulmans de demander pardon et de se faire pardonner.

En France, j’étais sans ma famille mais j’ai quand même acheté mon bazin. Il était vraiment joli et bien cousu, j’étais heureuse de le porter, ça m’a rappelé le pays. Je me suis aussi acheté une jolie perruque de marque brésilienne qui m’a coûté 250 euros. Mais, le jour J, je me suis sentie seule car il n’y avait pas une ambiance de fête. C’était comme une journée normale et c’était triste. Ici, les gens se regardent à peine et tout le monde est dans son coin. J’ai vraiment senti l’absence de ma famille.

Trop loin de ma famille

J’ai des nouvelles de ma famille par téléphone, mais je trouve ça frustrant. Je n’ai pas le choix pour le moment. J’ai pris la décision de venir en France pour avoir une vie meilleure. Je suis inscrite dans un lycée et je compte faire une formation.

Ma plus grande peur maintenant, c’est de ne plus revoir ma maman, elle me manque trop. Comme elle vieillit et que je n’ai pas encore régularisé ma situation, ce serait un miracle si j’arrivais à retourner au pays. Des fois, la nuit, je pense tellement à elle que je fais des insomnies.

Je parle beaucoup à ma sœur, parce qu’elle est souvent connectée mais, ma maman, elle n’a pas de téléphone Android et, comme j’utilise WhatsApp, je ne peux pas lui parler autant que je voudrais. Appeler sur son téléphone, c’est compliqué. Il faut aller dans un taxiphone ou acheter du crédit international, et je n’ai pas assez d’argent pour ça.

Ça peut arriver que je ne lui parle pas pendant trois semaines, c’est difficile. Quand je l’appelle, j’essaie de la rassurer, de lui dire que je n’ai pas de problèmes même si les choses ne sont pas encore stables. Surtout, je ne veux pas l’inquiéter. Même si ça ne va pas, je lui dis que ça va.

En France, j’ai trouvé une communauté

Au début, à l’hôtel, la nourriture qu’on nous donnait n’était pas bonne. C’était de la nourriture déjà préparée, c’était fade, pas salé, avec un goût bizarre. J’ai eu du mal à m’y adapter.

Heureusement, dans mon nouveau foyer, on a une cuisinière congolaise qui prépare des plats africains. On a beaucoup de recettes en commun avec les Congolais, les Sénégalais et les Ivoiriens, comme la sauce mafé, le tiep, l’attiéké avec poisson et aloco. Quand on en mange, ça nous enlève un peu la nostalgie du pays.

Au foyer, je me suis aussi fait des amies qui parlent la même langue que moi, le bambara. Je peux parler ma langue maternelle avec mes amis guinéens, maliens et ivoiriens de France. On se comprend, ça me fait plaisir. On peut se faire des blagues entre nous.

SÉRIE 1/5 – Burhanuddin a pris de très gros risques lorsqu’il a traversé deux continents pour fuir l’Afghanistan, et venir se réfugier en France.

Capture d'écran de l'article "caché sous une voiture pour venir ici", illustré par un dessin : la scène se passe à un angle de rue. Burhanuddin est avec un ami à lui. Ils discutent devant une porte ouverte. On voit son écran de téléphone où est représenté un bateau de fortune sur la mer avec beaucoup de personnes dessus.

Je me suis trouvé des amies qui ont la même couleur de peau que moi et d’autres pas, comme des Maghrébines. Toutes m’aident à enlever la nostalgie du pays. On partage le fait qu’on n’est pas chez nous, qu’on est des étrangères. On est dans la même situation, ça crée des liens. Elles aussi ont le mal du pays, on en parle beaucoup ensemble. Certaines sont même en dépression et regrettent d’être venues.

Moi, malgré tout, je ne regrette pas. Ma vie est quand même mieux ici que là-bas, je peux aller à l’école, je vais pouvoir travailler. Mon parcours m’a appris à ne dépendre de personne, ça m’a donné confiance en moi. J’ai l’impression qu’en rencontrant tous ces gens différents, ça m’a ouvert l’esprit. Aujourd’hui, je suis plus tolérante.

Sarabelle, 17 ans, lycéenne, Paris

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

Parcours migratoire : de l’insécurité à l’instabilité

Près de 5 000 personnes meurent chaque année en fuyant leurs pays, sur la route d’une vie meilleure. Les chiffres officiels sont difficiles à obtenir, mais l’ONU compte plus de 45 400 morts entre 2014 et 2021. Sur la seule journée du 24 juin 2022, au moins 27 Africain·es ont été tué·es par la police marocaine en voulant rejoindre l’Espagne. Les témoins parlent d’un déchaînement de violences de la part des autorités. 

 

Une fois de l’autre côté de la frontière, les nouveaux et nouvelles arrivant·es ne sont pas certain·es de trouver une vie stable. Précarité, travail non-déclaré, arbitraire policier, enfermement Le chercheur Stefan Le Courant a étudié la condition des sans-papiers en France.

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