Zazou C. 08/03/2022

3/4 « C’est ça, tu travailles… allez viens m’aider »

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Sur ordre de sa mère et de son beau-père, c’est Zazou qui gère une grande partie des tâches ménagères à la maison. Alors ses notes, ses projets et sa santé passent au second plan.

La phrase favorite de ma mère, c’est : « Tu fous jamais rien. » Une journée normale pour moi, c’est réveil à 9 heures maximum, sinon je m’attends à me faire hurler dessus. Ma mère me dit ce que je vais devoir faire pendant ma journée et, en général, j’ai pas mal de trucs au programme : les lessives, la vaisselle… Toutes les tâches ménagères, au final. J’ai dix minutes pour prendre mon petit-déjeuner, si j’en prends un, ce qui est rare. Sinon, je me fais engueuler parce que je suis lente. Je commence à faire ce qu’on m’a demandé, pendant ce temps ma mère va se laver.

L’après-midi, soit on avance ensemble sur les travaux de la maison, soit on se repose jusqu’à 16 heures, quand ma petite sœur se réveille de la sieste. Après, retour aux tâches ménagères. Puis, vient l’heure de la douche de ma petite sœur vers 18 h 30, et c’est un peu la bataille pour savoir qui va y aller. L’heure du repas est là et je m’occupe comme toujours de mettre la table, de la débarrasser et de faire la vaisselle jusqu’à 21 heures à peu près, pendant qu’eux sont couchés. 

Quand mes parents se disputent, c’est à moi de m’occuper complètement de ma petite sœur de 3 ans et de la nourriture, sinon, à 23 heures, on n’aura toujours pas mangé. Même quand je suis malade, je fais plein de choses, alors que je suis censée me reposer.

C’est quasiment tous les jours comme ça, donc je n’ai pas vraiment le temps pour mes devoirs. Si j’ai le courage, je les fais le soir, plutôt tard, sinon je demande à mes camarades de me prêter leur travail.

Je voulais être architecte d’intérieur, mais vu mes notes…

Il y a quelques années, ma mère nous a dit, à moi et ma grande sœur, que tout ça c’était pour notre vie future, pour nous apprendre à vivre. Mais, en même temps, elle me reproche souvent d’avoir des mauvaises notes et de ne pas travailler. Elle dit que si je me plante, c’est de ma faute et celle de personne d’autre. Elle disait la même chose à ma grande sœur. Mais si aujourd’hui, elle et moi, nous nous plantons, c’est bien à cause d’elle. Quand on veut travailler, elle nous appelle pour faire autre chose sur le ton du jugement : « Mais oui, c’est ça, tu travailles, allez viens m’aider. » Ma sœur préférait sécher les cours et ne pas travailler. Elle avait des mauvaises notes.

Avant, je voulais être architecte d’intérieur, mais vu mes notes, j’ai dû abandonner. J’aime énormément dessiner. Au lycée, j’ai sept heures d’art par semaine et, l’année prochaine, j’aurai neuf heures. Donc je me suis dit : « Pourquoi pas travailler dans l’art ? » Le seul problème : il faut que ça plaise à ma mère et ça va être dur…

Avec elle, bien que ça puisse être bizarre, je parle beaucoup d’orientation. J’ai eu plusieurs envies. D’abord coiffeuse. Mais elle me disait que ce n’était pas pour moi car j’étais une « feignasse ». Puis architecte. Je voulais créer des plans de bâtiment. J’y ai songé tellement de fois, mais le « tu bosses pas assez, tu n’y arriveras pas » est vite revenu. J’ai alors pensé à serveuse de nuit (qu’est-ce que j’aimerais faire un travail de nuit !), mais elle, tout ce qu’elle voit, c’est : « un métier trop dangereux pour une fille, tu pourrais avoir des problèmes. » Mes seuls réconforts… le dessin et la couture. Mais elle n’a pas l’air très enthousiaste.

Pour lui, c’est à moi de faire les tâches ménagères

Je ne peux pas faire grand-chose. Je suis obligée de forcer pour pouvoir sortir et voir mes amis. Si je veux l’imposer à ma mère (qui m’espionne avec mon emploi du temps), je suis punie de tout (sorties, ordinateur, téléphone, et j’en passe). Je me sens vachement seule quand je suis chez moi, je ne peux parler à personne car, dès que j’allume mon téléphone, c’est « lâche-moi ce p***in de téléphone » par ma mère, ou « il va voler si tu continues » par mon beau-père.

Depuis qu’il est arrivé dans notre famille, il a imposé ses lois et sa manière de vivre. Pour lui, en tant qu’enfant, c’est à moi d’aider et de faire les tâches ménagères. Mon beau-père, je le trouve « vieux jeu ». Il a 58 ou 59 ans, donc ses parents l’ont élevé comme ça : les femmes et les enfants s’occupaient des tâches pendant que l’homme travaillait.

J’ai fini à l’hôpital l’année de mon brevet

Depuis qu’il vit avec nous, j’ai essayé de me suicider deux fois car, avec lui, la vie est vachement compliquée. J’en ai parlé à mes amis, à des psychologues et des pédopsychiatres mais, pour eux, tout va bien, donc je m’efforce de sourire… J’ai fini à l’hôpital l’année de mon brevet, il y a trois ans. Pile la semaine de mon anniversaire, j’allais avoir 15 ans.

Série 4/4 – La mère de Mallory ne la laisse pas vivre. Sa fille n’a pas droit à l’erreur et doit être parfaite, dans tous les domaines.

Illustration du visage d'une jeune fille triste. Elle tient son visage entre les mains. Au dessus d'elle, des mains la surplombent comme si elles cherchaient à la contrôler.

J’ai passé une semaine là-bas, on m’a examinée pour savoir si je n’avais aucune marque, si on me battait ou si on me faisait du mal. J’ai été obligée de voir la pédopsychiatre avant de sortir, puis plusieurs rendez-vous ont suivi. Avec deux psychologues et un professionnel de la dépression.

Ça m’a vraiment aidée, j’allais vachement mieux, puis quelques éléments ont fait que j’ai failli tomber à nouveau dedans. Mais mon super héros [son copain, ndlr] est apparu : depuis un an qu’il est là, il m’aide, me fait sourire et me rend heureuse.

Zazou, 17 ans, lycéenne, Île-de-France

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

À bas l’éducation genrée !

Les filles ont moins de temps libre que les garçons

Selon une étude réalisée en France en 2015, les jeunes filles et femmes entre 15 et 24 ans consacrent en moyenne 44 minutes de plus par jour aux tâches domestiques que leurs homologues masculins. Et la pandémie n’a fait qu’aggraver ces disparités. En 2021, une étude britannique a révélé que 66 % des filles et femmes de cet âge affirment passer plus de temps à cuisiner depuis la crise sanitaire, contre 31 % des garçons. Un temps qu’elles pourraient allouer à leur vie personnelle… et à leurs études.

Jouer les stéréotypes

Depuis 2019, les acteurs de la filière du jouet s’engagent chaque année à favoriser la représentation mixte des jouets à travers la signature d’une charte. Cette prise de conscience tardive a notamment été impulsée par des associations comme Pépite Sexiste, qui dénonce les stéréotypes sexistes diffusés par le marketing. Car, dès le plus jeune âge, les jouets participent à la reproduction des rôles traditionnels de genre. 

Vers une éducation non-genrée ? 

Encourager une éducation égalitaire, notamment à l’école, permettrait aux enfants de se construire hors des stéréotypes de genre. Mais l’institution scolaire fait face à des levées de boucliers. On se rappelle notamment de l’abandon de l’ABCD de l’égalité en 2014, suite à des pressions de groupes réactionnaires. Ce programme d’enseignement, proposé par l’ancienne ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, était pourtant seulement destiné à « transmettre des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons ». Pas gagné…

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