4/5 Je vis dans la peur du renvoi au pays
C’est une galère de ne pas être régularisé. Tu ne peux pas passer le permis, ni travailler, ni être libre car tu risques de te faire renvoyer. Et quand tu tapes à plusieurs portes pour la régularisation (comme à celle de l’assistante sociale), on te répète la même chose : « Tu n’es pas prioritaire » ; « Il fallait venir avant tes 13 ans ou bien avoir un membre de ta famille régularisé. » T’as l’impression que c’est mal d’être venu à 16 ans. Je ne m’attendais pas à ça puisque je suis un élève assidu à l’école, qui a un bon dossier. Et les professeurs me soutiennent dans ma démarche. J’ai eu deux lettres de recommandation, de ma CPE et de ma prof principale.
Quand je suis arrivé en France, j’ai voulu demander de l’aide dans les associations et aussi à la Croix-Rouge pour obtenir le statut de mineur isolé. Quand une institution te soutient, c’est beaucoup plus simple d’obtenir la régularisation. La réponse commune était que j’étais dans de bonnes conditions au Sénégal, et qu’ils ne prennent en charge que les gens qui sont dans le besoin dans leurs pays. Ils me proposaient d’entrer en contact avec mes parents pour que je puisse rentrer, mais j’ai refusé.
Je suis hébergé chez une personne que j’ai rencontrée ici et que je considère comme mon oncle. Il doit me fournir tous les papiers que demande la préfecture pour la régularisation : un certificat d’hébergement, ses impôts… Pour prouver qu’on m’héberge et qu’il y a des personnes ici en France qui sont capables de s’occuper de moi.
Le problème est qu’en fournissant ces papiers, il risque de perdre les aides qu’il perçoit. Car l’État considère que s’il est suffisamment solide financièrement pour prendre en charge quelqu’un, alors il n’a pas besoin des aides. Pour l’instant, je ne suis pas déclaré comme quelqu’un qui est à sa charge. C’est compliqué puisque je ne peux pas lui en vouloir de ne pas me fournir ces papiers mais, sans, on ne peut pas me régulariser. Et ça impacte ma vie.
La peur de la police
Je n’arrive pas à sortir, par peur. Là où je vis actuellement, en bas de mon immeuble, il y a des gens qui vendent des stupéfiants. Donc j’ai l’habitude de voir la police ou de l’entendre passer. Et je sais qu’il y a un poste de police pas très loin. À chaque fois que je les entends, j’ai l’impression que c’est pour moi qu’ils sont là. Alors, j’évite au maximum d’être dehors.
Je ne sais pas ce qu’il va se passer demain. Je suis dans le flou.
La semaine, je suis au lycée, et le samedi je suis à l’ESSEC dans un programme d’accompagnement pour développer la prise de parole, la confiance en soi, la culture générale. Mais, surtout, il permet de visiter des lieux culturels et historiques. Être passé par l’ESSEC, ça pèse dans le dossier pour les études supérieures, mais aussi dans la lettre de motivation pour la préfecture. J’espère que ça jouera en ma faveur pour ma régularisation.
Mon seul objectif : étudier
Ce que je veux démontrer avec ce programme et mes études, c’est que je cherche à m’intégrer dans la société. Mais, dans un coin de ma tête, je me dis que tout ça peut s’arrêter d’un coup si je ne suis pas régularisé. Ça impacte ma motivation puisque je me dis que je commence quelque chose que je ne suis pas sûr de finir. Le processus est long et, pour continuer à se battre et à aller de l’avant, il faut de la motivation. Et ça ne devrait pas être compliqué parce que je ne cherche qu’une seule chose : étudier.
Je me rappelle le jour où j’ai dit à mes amis que j’allais venir en France. Ils étaient tous fous de joie, et ils m’ont dit que ma vie allait changer. Généralement, les postes de hauts fonctionnaires comme chef de l’administration publique au Sénégal et en Afrique sont occupés par des personnes ayant étudié à l’étranger. Ils m’ont dit qu’une fois que je serai dans des écoles françaises et que j’aurai à mon tour des diplômes, je pourrais être haut fonctionnaire au Sénégal si je décidais d’y retourner. Mais, depuis le jour de mes 18 ans, je vis avec la peur du renvoi au pays.
À 18 ans, la question du renvoi au pays
Étudier en France, c’était un choix personnel. Ma famille n’était pas d’accord, mais j’ai décidé de partir sans leur soutien. Mes objectifs premiers étaient de trouver une école, de m’adapter et de trouver des amis. À 17 ans, je les avais atteints.
SÉRIE 5/5 – Loin du Mali et de sa famille, Sarabelle ressent le manque du pays. Tout lui rappelle d’où elle vient.
Au bout d’un an, j’ai été accepté en Modac [module d’accueil et d’accompagnement, pour aider les nouveaux arrivants de plus de 16 ans à s’orienter, ndlr] dans un lycée à Saint-Germain-en-Laye. Ensuite, j’ai choisi d’aller en STMG. J’avais l’impression d’avoir fait presque tout le chemin. Mais, d’un coup, je me suis rendu compte que j’étais majeur et que la question du renvoi au pays me concernait désormais, car je n’avais pas la régularisation.
Les études en France sont plus reconnues et diversifiées, c’est pour ça que je voulais les faire ici. Si je retourne au Sénégal, c’est sûr que je vais étudier. Mais je me dirais que j’ai fait tout ce chemin pour rien.
Oumar, 19 ans, lycéen, Torcy
Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)
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