2/2 Mon retour au naturel est un acte militant
Petite, ma mère avait du mal à coiffer mes cheveux donc elle les assouplissait avec des produits chimiques. Avant mon retour au naturel, je m’attachais tout le temps les cheveux car, malgré les assouplissants, je ne les trouvais pas beau. Mais je continuais, c’était devenue ma routine capillaire. J’ai appris à accepter et aimer mes cheveux tard, à 16 ans.
Ma transition au naturel, je l’ai faite l’été avant de venir à Paris pour mes études. Je me souviens avoir pensé à ce que les gens d’ici diraient, à comment ils me regarderaient, et il est vrai que la peur du regard des autres m’avait beaucoup découragée par le passé. Plus petite, j’avais beaucoup de réflexions sur la nature de mes cheveux. Mon afro, on me demandait souvent si c’était mes cheveux, si j’arrivais à les brosser, si mon peigne passait complètement dedans… Ma mère avait des difficultés à me coiffer, elle me disait souvent qu’elle me couperait les cheveux car ça la fatiguait et que c’était beaucoup trop de dépenses pour les entretenir.
Palmier, caniche, barbe à papa…
Ensuite, c’est elle qui a été mon exemple pour sauter le pas. Elle avait fait sa transition quelques mois avant que je ne fasse la mienne car les produits étaient beaucoup trop toxiques pour sa santé et que c’était des dépenses en plus tous les mois. Elle m’a poussée à faire cette expérience avec elle et, aujourd’hui, je ne le regrette pas car ça m’a permis de m’affirmer.
Après ma transition et mon arrivée ici, ça a été compliqué de m’adapter au regard des gens, particulièrement à la fac avec mes camarades qui me posaient mille et une questions sur mes cheveux et qui voulaient en PERMANENCE les toucher. Dans ces moments-là, je me braquais car je ne m’acceptais pas encore totalement et être perçue comme la fille à la touffe ne m’aidait pas.
Ici, il m’est souvent arrivé de me sentir comme une bête de foire à cause de ces regards et des surnoms qu’on me donnait : palmier, caniche, barbe à papa…
I DON’T GIVE A F**** de vos opinions
J’ai dû à plusieurs reprises les reprendre à propos des blagues, des réflexions et des surnoms, c’était devenu mon combat quotidien. Je leur expliquais que ça ne se disait pas, j’essayais tout le temps de garder mon calme. Ça ne m’aidait pas à me sentir intégrée et acceptée, de devoir leur expliquer que toucher mes cheveux sans mon autorisation n’était pas normal, que ce n’était pas une forme de compliment mais que ça me déshumanisait.
J’ai pris conscience de l’ampleur des propos qui se disaient à mon sujet, que c’était une manière pour eux de me rappeler que je ne leur ressemblais pas, que j’étais différente. On ne parlait pas que des cheveux, on me disait que je vivais dans une forêt, que j’allais à l’école en canot – par rapport à La Guyane, d’où je viens. Je n’avais pas la force pour répondre, donc je laissais parler. Les « vannes » que me faisaient mes camarades blancs n’étaient pas du tout normal, ça cachaient une part de racisme ne concernant pas uniquement mes cheveux, mais aussi ma couleur de peau.
Aujourd’hui, j’ai la maturité pour dire à mes chers camarades blancs : « I DON’T GIVE A F**** de vos opinions car ils ne définissent pas la personne que je suis à ce jour. » Et mes cheveux sont une forme de doigt d’honneur à leur égard.
Je voulais qu’elle porte ses boucles comme une couronne
Mon déclic du retour au naturel est dû à un ras-le-bol. J’étais fatiguée de ne pas m’accepter et de laisser la société me faire croire que le standard de beauté était les cheveux lisses, le fait d’être blanche, mince et d’avoir des traits fins. J’avais besoin de m’affirmer pour moi, mais aussi pour ma petite sœur qui a aussi les cheveux bouclés. Je ne voulais pas lui donner une mauvaise image de ses cheveux, je voulais qu’elle porte ses boucles comme une couronne et non pas comme un fardeau.
Ce genre de standard peut être dangereux : entre le danger des produits chimiques pour lisser les cheveux et les dépressions que peuvent entraîner les propos racistes, ça fait beaucoup à digérer, surtout pour des enfants. On devrait pouvoir sortir avec les cheveux lâchés sans avoir peur des préjugés et des remarques. On devrait apprendre à nos filles, à nos sœurs, à nos mères qu’elles ont le droit d’être fières de leurs cheveux, qu’elles peuvent passer un entretien d’embauche sans forcément passer par la case « lissage de cheveux ».
Aujourd’hui, j’ai pris en maturité et en expérience, j’ai une meilleure relation avec mes cheveux. Mes réactions et mes réponses sont différentes. Je sais me positionner et me défendre, je n’ai plus peur de marcher dans la rue les cheveux lâchés, je ne crains plus le regard des autres et les critiques. J’accepte leur nature car elle fait partie de mon identité, qui se définit par ma couleur de peau, mes origines guyanaise, et le fait que je sois une petite fille créole aux cheveux crépus. J’ai appris à m’accepter et c’est le plus important pour moi.
Clara, 22 ans, volontaire en service civique, Rosny-sous-Bois
Crédit photo Unsplash // CC Baptista Ime James
Le mouvement nappy
Contraction des mots « happy » et « natural », il désigne ce mouvement de libération capillaire des femmes noires dans le monde entier.
Naissance dans les années 60
Aux États-Unis, les personnes noires se mobilisent pour leurs droits civiques, et leurs manifestations sont très violemment réprimées. Les femmes noires décident de s’affranchir des codes et des diktats esthétiques imposés par la société blanche en laissant leurs cheveux crépus au naturel.
Être fier·e de ses origines et de son identité
Porter la coupe afro devient une revendication politique, et le symbole de la fierté d’appartenir à une communauté noire et métissée. Depuis 2019, plusieurs États américains ont adopté le Crown Act, une loi qui interdit la discrimination basée sur la coiffure ou sur la nature des cheveux d’un individu.
Vague d’afros sur les réseaux
À partir des années 2000, le mouvement explose sur internet, grâce à des blogueuses et youtubeuses aux cheveux crépus qui prônent ce retour aux sources capillaire. Des stars ont aussi rejoint le mouvement, comme Solange Knowles et Imany.