2/2 À l’hôtel, des amis pour tenir
Les hôtels sociaux sont devenus ma maison. J’avais 13 ans. Vivre à l’hôtel, ça semble simple et tout confort quand on ignore ce qui s’y passe vraiment. Dans certains, le ménage est fait tous les deux jours, il y a des serviettes, des mini gels-douche… Mais ce n’est pas comme ça dans tous. Ceux du 95, à Sarcelles et Goussainville, sont insalubres, de la porte d’entrée aux punaises de lit. Avec ma mère, ma sœur et mon petit frère, on a changé d’hôtel toutes les semaines durant plusieurs mois, mais je me rappelle d’un en particulier.
Celui-là, c’était le pire. « C’est dégueu » : c’est la première phrase que j’ai dite à ma mère. Pendant la semaine qu’on a passée dedans, aucun ménage n’a été fait. Une odeur restait, une odeur de pipi. Que pouvait-on attendre d’un hôtel social au-dessus de la gare de Garges…
Au début, nous avons été pris en charge par la police et hébergés pendant une semaine à l’Ibis, vers les Flanades à Sarcelles. Au fur et à mesure que l’on changeait d’hôtel, l’accueil et les conditions de vie empiraient. Mais entre les cafards et la détresse morale, on rencontre des éducateurs et des parcours de vie intéressants. Sans aide et sans relation sociale, j’aurais pu partir en dépression. L’école était une échappatoire, j’avais 16 de moyenne, mais pas beaucoup d’amis à qui me confier. Il n’y a qu’à l’hôtel où j’en côtoyais qui vivaient un peu la même situation.
Besoin d’échappatoires
Ma première rencontre a été Michel, un enfant de 15 ans jeté dehors par sa mère à cause de son homosexualité. C’était notre meilleur ami de l’hôtel. Comme il n’y avait pas de place dans les foyers du 95, on le renvoyait toujours dans le même. Michel était très joyeux, il venait souvent dans la chambre de ma sœur et moi et on passait des journées entières ensemble. Il tombait vite amoureux et nous racontait ses amourettes, parfois à sens unique. Ma mère nous écoutait souvent et explosait de rire.
Puis, ma sœur a découvert qu’une amie de sa classe vivait la même situation avec toute sa famille. Elle était en France depuis quelques mois. Elle venait d’Algérie et attendait un logement social. Elles s’étaient promis de ne pas en parler au lycée. Ce secret les a tellement rapprochées qu’on passait notre temps libre avec elle. On allait souvent dans sa chambre, et elle aussi.
Un soir, lors du Ramadan, nous les enfants sommes sortis nous balader sans les éducateurs. La rupture du jeûne pour les adultes, c’était un moment de liberté et de répit pour nous. On s’est défoulé comme jamais. À 3 heures du matin, on marchait sur la route et on chantait sans se préoccuper des gens qui dormaient. L’hôtel devient vite une sorte de prison d’où l’on cherche à partir.
On s’est perdus de vue
Dans les couloirs de l’un d’entre eux, ma mère a aussi retrouvé une amie, par hasard. Elle attendait un logement depuis deux ans avec un enfant de 4 ans. Elle était sans famille et se débrouillait. Ma mère ne savait pas, ça l’a choquée et rassurée en même temps. Elle nous a montré des astuces pour vivre à l’hôtel. Apporter des plaques de cuisson pour préparer à manger, même si c’est interdit. Prendre du lait en poudre au lieu du lait liquide. On l’a croisée dans plusieurs autres hôtels, mais elle a fini par avoir un logement avant nous. Une fois qu’elle a été logée, on ne l’a plus revue.
Avec Michel, on est d’abord restés en contact. Il a pris un appartement à sa majorité. Mais le voir me rappelait l’hôtel. On a vite arrêté les discussions sur les réseaux et, au final, plus de nouvelles. La copine de ma sœur, elle, a eu son bac, mais nous ne sommes pas restées en contact.
C’est difficile de garder une relation avec les personnes rencontrées à cette époque. Ça fait remonter trop de mauvais souvenirs : le regard des gens de bus en bus quand on change d’hôtel avec des valises, la tristesse une fois nos amis partis, le fait de voir d’autres familles trouver un appartement et pas nous… Ça a duré un an. Un jour, j’ai vu la dame de ménage d’un des hôtels dans un bus. On s’est échangé un regard. Un sourire et elle est partie. Elle se doutait que je n’avais pas envie d’évoquer des souvenirs encore difficiles. Elle a dû voir beaucoup de familles passer.
Marie, 22 ans, en recherche de formation, Val-d’Oise
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