Kawtar B. 19/04/2024

2/2 « Pour ma mère, je lis trop »

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La lecture d’histoires fantastiques et de thrillers apaise Kawtar, 14 ans. Comme elle projette de devenir médecin, sa mère craint que cette activité ne la détourne du travail scolaire.

Je ne comprenais pas l’expression « la soif de lire » avant de moi-même la ressentir. Quand je lis, le temps passe tellement vite. C’est comme si je n’existais pas. On ne m’entend plus du tout. Quand je ne lis pas pendant quelque jours, je suis à fleur de peau, comme s’il me manquait quelque chose. Je peux facilement m’énerver.

Lire m’aide à me calmer. J’adore le calme. Il me permet de me recentrer sur moi-même, de réfléchir à certains choix que je dois faire. Cette année, je suis en troisième et je dois choisir mon avenir, mon orientation. J’ai même pensé à faire de la lecture ma profession mais finalement je préfère que ça reste un hobby, un passe-temps.

J’ai commencé à lire fluidement à l’âge de 6 ans. À ce moment-là, je n’étais pas encore obnubilée par la lecture. C’est ma mère qui m’a incitée à lire davantage. Et quand je suis arrivée au collège, c’est devenu inévitable. Aujourd’hui, je n’arrive plus à me détacher des livres.

« Des livres fantastiques et des thrillers »

Pendant les vacances, je peux lire entre trois et cinq romans d’environ 500 pages chacun. Je lis plutôt des livres fantastiques et des thrillers. Un roman qui m’a marquée est De mon sang d’Amanda Hocking. C’est un livre qui parle d’une jeune femme qui s’appelle Alice. Elle a 17 ans et elle a un frère qui, lui, en a 15. Leur mère, qui est infirmière de nuit, n’est pas vraiment présente.

Et puis Alice rencontre Jack. Elle ne le sait pas encore mais il est un vampire. Ils commencent à se fréquenter et Jack développe des sentiments pour Alice. Il décide de la présenter à sa famille. En entrant dans la maison de Jack, Alice se sent submergée par une émotion qu’elle ne connaissait point. Elle est attirée par une des chambres à l’étage. Elle suit son instinct et part dans cette chambre. Elle découvre alors un homme brun aux yeux verts. Il s’appelle Peter et doit avoir 24 ans. Elle va apprendre qu’elle est liée à cet homme.

Leçons de morale

Ce livre m’a touchée car Alice doit faire plusieurs choix irréversibles qui impactent son avenir. Elle doit choisir entre l’homme qu’elle aime, Jack, et l’homme à qui elle est liée, Peter. Comme moi, Alice se dispute aussi souvent avec sa mère. Même si c’est différent car de mon côté c’est toujours sur le fait que je ne travaille pas assez, que je lis trop à son goût.

Oumy se rend chaque semaine dans une librairie pour chercher de nouveaux livres de romance, en suivant les recommandations sur TikTok et Instagram. Le pass Culture lui permettra bientôt d’agrandir sa bibliothèque.

Capture d'écran de l'article "La lecture, un luxe". Une jeune fille est assise sur un lit, avec un livre ouvert qui lui cache le visage.

Ma mère s’inquiète beaucoup pour ma scolarité. Dans mon bulletin, si elle voit qu’un prof dit que je devrais travailler plus à la maison, elle me fait une leçon de morale qui peut durer vingt minutes. Alors oui, parfois je lis trop mais ça n’a pas de conséquences sur ma scolarité. Je suis une élève plutôt soucieuse de mon avenir, je travaille bien à l’école, je fais mes devoirs.

J’ai déjà une idée. Depuis toute petite, j’ai envie de faire de la médecine. Je comprends que ma mère puisse se soucier de ce projet. Plusieurs personnes de ma famille sont dans ce milieu, et je sais que c’est compliqué de réussir la fac de médecine.

Kawtar, 14 ans, collégienne, Saint-Denis

Crédit photo Unsplash // CC Elliott Reyna

 

Plus “dark” que “romance”

Emmanuelle Rodriguez, professeure documentaliste au collège Jean-Jaurès, à Montreuil (93), confirme que la dark romance séduit les élèves dès la sixième. Elle explique que ce genre banalise les relations toxiques et les violences sexistes et sexuelles.

 

Est-ce que vous avez des livres de dark romance dans votre CDI ?

Non, et je refuse d’en avoir. Ce genre de roman met en scène des relations toxiques et banalise largement les violences faites aux femmes. C’est le cas dans le best-seller Captive, de Sarah Rivens, grand classique du genre. Une jeune femme se fait enlever par des mafieux. Elle tombe amoureuse de son ravisseur malgré les mauvais traitements qu’il lui inflige.

 

Qu’est-ce qui explique le succès de ces romans chez les adolescentes ?

Ces livres sont généralement écrits par des femmes et le public visé a priori, ce sont les jeunes adultes. Mais la dark romance s’est popularisée principalement sur Wattpad et sur TikTok, des plateformes qui accueillent un public plus jeune. Dans mon collège, il y a des élèves de cinquième, voire de sixième, qui ont déjà lu de la dark romance. Certaines me disent qu’elles font bien la distinction entre la réalité et la fiction. Mais si une adolescente n’a pas ce recul, ces romans peuvent lui donner une vision faussée et malsaine du couple ou du sexe.

 

Comment abordez-vous la question avec vos élèves ?

Il se trouve que le genre séduit beaucoup les ados qui n’ont pas l’habitude de lire. Donc quand les parents voient leurs filles avec un livre dans les mains, ils peuvent se dire que c’est déjà bien qu’elles lisent, sans se poser plus de questions. Malheureusement, le contenu de ce genre de livres est problématique. En tant que documentalistes, on doit être très vigilants. D’une part, il est de notre devoir professionnel de ne pas proposer des livres inadaptés à notre public, qui sont des enfants. D’autre part, il faut faire preuve de pédagogie. Quand des élèves me parlent de livres de dark romance, je leur explique pourquoi je refuse d’en avoir dans les rayons.

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