Julien B. 19/10/2023

1/2 Je suis « trop noir » pour ma communauté

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Depuis qu'il est petit, Julien subit des réflexions sur sa couleur de peau de la part de son entourage. Un jour dans une story Snap, il découvre que cette discrimination a un nom : le colorisme.

C’est l’été, j’ai 11 ans, je joue au football dans un stade en bas de chez moi. Un autre jeune, lui aussi de couleur de peau noire, m’approche et me demande pourquoi je suis aussi noir. À la suite de cette question, j’entends des rires, ce qui me surprend beaucoup. La plupart des personnes présentes sont noires aussi.

C’est mal d’être noir ? C’est la question que je me suis posée à la suite de cet événement et après avoir entendu d’autres réflexions. Je ne parle pas d’avoir une peau simplement noire, mais une peau très foncée, plus foncée que celle des membres de ma famille et de ma communauté.

C’est au début du lycée que j’arrive à mettre un mot sur ce phénomène. En regardant des storys sur Snapchat, je tombe sur l’interview d’une jeune femme. Elle aussi, elle a subi des remarques de ce genre. À ce moment-là, je découvre le mot « colorisme », qui désigne les discriminations intracommunautaires basées sur la couleur de peau.

Dans mon enfance, soit les réflexions mettaient en valeur les personnes métisses ou à la peau claire, soit elles rabaissaient les personnes à la peau foncée. Mes parents m’ont souvent raconté que, contrairement à mes frères et sœurs, j’avais déjà une teinte noire prononcée à la naissance. « Il était déjà noir quand il est né. » Cette « blague », je l’entends régulièrement. À chaque fois qu’ils la prononcent, elle donne lieu à des rires et des moqueries. Au collège, des camarades noirs se moquaient de moi parce que j’étais « cramé » ou « resté trop longtemps dans le four ». Ça se ressent aussi sur les réseaux,  avec le hashtag #lightskin.

Des peaux abîmées par les crèmes

Je ne pourrais pas donner d’exemples précis de situations, mais c’est comme ça que je le ressentais : les personnes à la peau claire étaient « belles et gentilles » tandis que celles particulièrement noires étaient qualifiées de « mauvaises ». C’est-à-dire qu’on associe un caractère à notre couleur de peau. Pour moi, ce fantasme et ces représentations idéalisées participent à notre mal-être.

Certains Noirs souffrent d’un complexe d’infériorité par rapport à leur couleur de peau. C’est ce qui entraîne l’utilisation de crèmes éclaircissantes, ou « tchoko ». Elles sont extrêmement toxiques, mais certains bravent les risques pour se rapprocher de l’idéal à la peau claire. Je n’en ai jamais vues dans ma famille proche, mais j’aperçois de nombreuses personnes  dont la peau abîmée témoigne de l’utilisation du tchoko. Ma voisine de palier par exemple, elle a des cicatrices et des zones de couleur plus ou moins claires sur son visage.

Je trouve dommage qu’au lieu de s’entraider au sein de notre communauté, on reproduise des schémas coloniaux et racistes qui consistent à hiérarchiser les individus en fonction de leur couleur de peau. Que des personnes qui pourraient être victimes de racisme se mettent à adopter un comportement pareil. Malgré ça, j’ai appris aimer ma peau. Dans tous les cas, je n’ai pas le choix.

Julien, 16 ans, lycéen, Cergy

Crédit photo Pexels // CC cottonbro studio

 

Le colorisme

C’est une discrimination basée sur la couleur de la peau. Elle s’appuie sur un principe raciste : l’universel, ce serait la peau blanche. Plus un individu s’en éloigne, moins sa place dans la société est importante.

Le colorisme est un héritage direct du colonialisme. À cette période, plusieurs classifications raciales sont mises en place en fonction de l’intensité de la couleur de peau des esclaves : le sacatra, le mulâtre, le quarteron, le métis, le sang-mêlé… Les esclaves les plus foncé·es se voyaient attribuer les tâches les plus dures, et étaient encore moins bien traité·es que les autres.

Aujourd’hui, le colorisme existe surtout à travers les normes de beauté. Même dans certaines communautés racisées, plus une personne a la peau foncée, moins elle est considérée comme belle.

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