Capverdienne, mon rêve de France s’est cogné à une dure réalité
Quand je voyais les avions dans le ciel, depuis mon village au Cap-Vert, je me disais toujours que l’Europe, c’était au ciel. Qu’en passant la frontière, tous les gens devenaient blancs avec des cheveux très longs et lisses. Je pensais qu’on changeait automatiquement. Qu’on trouvait du travail, qu’on ne dépensait pas d’argent, que l’argent s’accumulait dans les banques. Qu’on devenait millionnaires et que c’était l’État qui nous aidait avec nos besoins.
J’habitais au Cap-Vert, à Praia. C’était pauvre. Il n’y avait pas de travail. Et beaucoup de voyous qui volent les gens, qui les tuent. Des groupes qui se font la guerre. J’étudiais mais c’était trop cher, donc j’ai laissé tomber l’école à 17 ans. Je marchais de ville en ville pour vendre des petits gâteaux. Je les mettais sur ma tête et j’allais chez les gens en leur disant « compra bolacha », en créole ça veut dire « achète-moi les gâteaux ». Mais souvent, les gens disaient non, c’était difficile. En plus, il faisait très chaud. Je gagnais 200 escudos par jour [ndlr : environ 2 euros]. Avec ça, je ne pouvais même pas acheter un kilo de riz et une bouteille d’huile. Je gagnais presque rien et j’avais pas d’aides financières.
Donc au bout d’un mois, je suis partie en car à Santiago, chez ma cousine. Espérant avoir une vie meilleure là-bas. C’était à 30 km. C’était beau. Le matin, on faisait le ménage à la maison, ensuite on vendait du pain avec de la viande. Et après, on partait à la plage alors qu’à Praia je restais à la maison toute la journée, sans sortir. Donc c’était mieux, mais je rêvais toujours de faire ma vie en Europe. Ce que je ne savais pas, c’est qu’en secret, mon père qui habitait en France, était en train de faire les démarches pour que je puisse le rejoindre.
Quand je l’ai appris, je ne l’ai pas cru. J’ai pensé que c’était une plaisanterie. J’ai mis une semaine à réaliser que j’allais vraiment partir. Quand j’ai eu le billet d’avion dans les mains, j’ai rigolé de joie. Je disais à tous les gens que je voyais « Je vais partir en France ! ». Ils me disaient : « Ramène-moi des cadeaux. » Ils m’ont tous donné une liste avec leur numéro pour ne pas que je les oublie, parce qu’ils pensaient que j’allais devenir riche et que j’allais pouvoir les aider. Moi aussi je pensais ça. Je pensais que mon père était millionnaire parce qu’il habitait en France. Le jour où je suis partie, le 15 septembre 2013, il y avait tout le monde à la maison, une grande fête avait été organisée pour mon départ. C’était comme un départ au paradis.
« J’savais pas qu’ici aussi il y avait des problèmes d’électricité »
Rapidement, je suis revenue sur terre. Je n’aurais jamais pu imaginer que ce serait comme ça, la France : des gens qui habitent dans la rue et qui demandent de l’argent et à manger. Je n’aurais pas pu imaginer qu’il faudrait un an pour obtenir un titre de séjour. Et qu’avant ça, il faudrait que j’obtienne un récépissé temporaire. Et qu’aussi, il faudrait obtenir le droit pour travailler. Que pour ça, il faudrait déposer une demande à la préfecture. Qu’il faudrait remplir des dizaines de dossiers. Qu’on pourrait être refusés.
Au Cap-Vert, je n’avais jamais eu besoin de faire de papiers. Mais ici, il faut en faire pour tout, pour la Caf, pour la Sécu, pour trouver un logement ! Trois ans après mon arrivée, je n’ai toujours pas de logement, tellement c’est long. Ça casse la tête tous ces dossiers. Alors depuis 2015, j’habite dans un hôtel avec mon compagnon et ma fille. On a deux pièces pour trois. J’savais pas qu’ici aussi il y avait des problèmes d’électricité et d’eau. Dans notre chambre, on a des coupures d’électricité tout le temps. Quand ceux qui habitent à côté de nous cuisinent, on est obligés d’attendre qu’ils aient fini parce que sinon ça coupe le courant pour tout l’hôtel. Je ne comprends pas ça. C’est bizarre. Il y a aussi des coupures d’eau. Et des rats ! Je ne savais pas que ça existait ici.
Amssi a aussi vécu l’enfer en arrivant à Paris. Il a dormi à la rue, s’est fait balader par des associations. Et ça lui a cassé son rêve d’un paradis français.
Alors quand ma famille du Cap-Vert m’appelle avec la caméra et qu’ils me demandent de montrer ma maison, c’est la honte. Je ne peux pas. Alors je leur dis que je suis dehors, qu’il fait noir ou que je suis en train de dormir. Pour l’instant, ils me croient. Mais mes frères et sœurs me demandent toujours des vêtements, des cadeaux, des chaussures, des téléphones, des cartables pour l’école, des tablettes. Mais je peux pas moi ! J’ai pas de travail, pas d’argent. Une fois j’ai appris que ma cousine était à l’hôpital alors je lui ai envoyé 30 euros, mais c’est tout ce que je peux faire. J’ai pas les moyens d’aider mes cinq frères et sœurs sans travailler. Ça me fait mal, mais je n’ai même pas de quoi payer mes tickets de métro.
La réalité en France, c’est pas comme dans mon rêve. En passant la frontière, je ne suis pas devenue millionnaire. Et mes cheveux ne sont pas devenus lisses.
Silvania, 22 ans, stagiaire, Pierrefitte-sur-Seine
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