À la Castellane, malgré la drogue on vit normalement
Un jour, ma mère m’a raconté que quand elle rentrait de sa balade à Saint-Antoine, un quartier à côté de la Castellane, elle a vu un journaliste qui voulait faire un reportage sur la cité se faire menacer par les guetteurs. C’est vrai que, le plus souvent, ce sont les guetteurs qui sont à l’entrée de la cité et qui contrôlent les personnes qui entrent. Pour voir s’il n’y a pas la police. Il est vrai que les guetteurs font la loi dans la cité. Mais, par la suite, les médias vont généraliser en disant que c’est toute la cité qui est mauvaise.
J’ai grandi dans une cité dans les quartiers Nord de Marseille dans le 16ème arrondissement, plus précisément à la Castellane, mais tout le monde l’appelle « la Casté ».
Une ville dans la ville
Pourtant, dans ma cité, il y a un quotidien bien différent. Déjà, il y a plusieurs origines, différentes cultures qui se mélangent, et tout le monde essaie de s’en sortir pour avoir un travail. Ensuite, c’est une cité très animée où il y a beaucoup de fêtes organisées, des repas entre toutes les personnes de la cité, avec des châteaux gonflables et des ateliers maquillage pour les enfants. Même une remise des diplômes pour ceux qui ont eu le bac ou le brevet des collèges.
Le journaliste Philippe Pujol a filmé pendant un été l’un des quartiers les plus pauvres de Marseille. Péril sur la ville : immersion dans un quartier populaire de Marseille arpente les rues de la butte Bellevue et capte les récits de vie des habitant.e.s.
Puis, en été, le quartier est très animé. Tout le monde sort dehors pour profiter avec ses amis ou même pour aller à la plage ou au centre-ville pour faire du shopping. Souvent, les personnes extérieures au quartier trouvent que ça ressemble beaucoup à une ville dans la ville car il y a beaucoup de petits commerces : une boulangerie, une alimentation, une boucherie, des snacks, mais aussi une pharmacie et un médecin. Ce qui fait qu’au quartier, tout le monde connaît tout le monde.
Tant qu’on n’embête pas les guetteurs, ils nous laissent tranquilles
Donc, d’un côté, on se sent bien dans cette cité car il y a presque tout à proximité, même un grand centre commercial à environ dix minutes à pied. Et la plage à vingt minutes en bus. Mais je trouve aussi que les guetteurs se pensent au-dessus des gens qui y habitent. Pareil pour les gens au-dessus d’eux : les vendeurs qui vont écouler la drogue (shit, cocaïne, etc.) et le gérant qui va gérer les marchandises et l’argent.
Il y a quelques jours par exemple, ma sœur est descendue de Paris avec son mari et son fils en voiture et ils venaient chez moi pour me récupérer avec ma mère. On voulait faire une sortie en famille. Mais quand ma sœur est arrivée à l’entrée de la cité, les guetteurs ont lancé une pierre sur son pare-brise car la plaque de sa voiture est immatriculée 92 (Hauts-de-Seine), un département de région parisienne.
Même moi, une fois, je suis rentrée chez moi puis ça m’a fait la même chose : les guetteurs ne m’ont pas lancé une pierre, mais une bouteille pleine de jus. Mais, la plupart du temps, les relations entre les habitants et les guetteurs à la cité se passent très bien. Chacun fait sa vie : tant qu’on ne les embête pas dans leurs affaires, ils nous laissent tranquilles.
On rêve de faire notre vie en-dehors de la cité
Et puis si le trafic de drogues continue à la cité, c’est parce qu’il y a des clients réguliers qui vont venir pour acheter de la drogue. Ils viennent de tout Marseille, voire d’autres villes comme Toulouse, Paris ou Bordeaux. Les guetteurs s’engagent dans le trafic par rapport à l’argent facile qu’ils peuvent gagner. C’est plus facile comparé à un travail normal où il faut se lever tôt tous les jours et pour un salaire plus bas. Aussi parce que, souvent, quand on veut chercher un travail, on ne trouve pas. Chaque fois qu’on veut postuler, on n’a jamais de réponse de la part des patrons.
Darryl fait 180 kilomètres de route jusqu’à Paris pour dealer. Mais pas le choix : c’est pour remplir le frigo familial…
Moi, je me vois déménager ailleurs que dans cette cité car maintenant c’est plus la même ambiance qu’il y a deux ou trois ans. Maintenant, c’est plutôt chacun pour soi. D’ailleurs, on rêve tous de pouvoir déménager et faire notre vie en dehors de la cité, et de montrer à tout le monde qu’on est pas tous des personnes mauvaises. Même si on habite dans un quartier, ça ne veut pas dire qu’on veut forcément le mal des gens autour de nous. Mais pour les médias, la Castellane, ça reste l’un des quartiers les plus chauds de Marseille.
Laetitia, 19 ans, en formation, Marseille
Crédit photo © Philippe Pujol // Arte – Péril sur la ville (documentaire 2019)