Sophia C. 07/12/2020

2/4 « Si on a un souci avec des papiers, c’est toi direct ! »

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Dans sa famille, c’est Sophia qui gère la paperasse. C'est une grosse responsabilité, et parfois ça l'énerve. Mais au moins, elle saura se débrouiller toute seule plus tard.

Déclaration d’impôts, demande de bourse, compte en banque, dossiers d’inscription… C’est moi qui gère tous les papiers de ma famille. Avoir cette responsabilité sur le dos, ce n’est pas simple, parce que l’administration ça ne rigole pas. Une seule erreur et ça peut être lourd de conséquences. Mon père est marocain et ma mère est italo-marocaine. Chez moi, toute la famille privilégie l’arabe. Ma mère se débrouille bien en français dans la vie de tous les jours mais plus c’est technique, moins c’est facile pour elle.

Ce n’est pas moi l’aînée, j’ai un grand frère. Alors pourquoi c’est moi qui m’occupe de tout ça ? Bonne question, je la pose chez moi toutes les semaines, mais que voulez-vous ! Je ne saurais pas vous dire comment j’en suis arrivée là. D’autant plus que mon frère est en licence 2 Administration économique et sociale ! Et pourtant c’est moi qui ai rempli son dossier de bourse et d’inscription en catastrophe en août. Il ne sait pas faire, ou il ne fait pas l’effort. 

C’est du hiéroglyphe multiplié par dix !

On n’a pas de cours à l’école pour nous apprendre tout ça. C’est dommage d’ailleurs, mais ce n’est pas moi qui fais les programmes. Parfois, les documents sont clairs et bien expliqués mais souvent c’est du hiéroglyphe multiplié par dix ! Alors système D oblige, je fais une petite recherche internet pour apprendre. La CAF, c’est le truc que j’aime le moins faire, il n’y a pas de papiers simples à remplir, non. On t’envoie une lettre et toi tu dois y répondre avec un message, mais à 17 ans je n’en sais rien de ce que je dois écrire, comment formuler telle ou telle phrase, alors je me débrouille avec des « Comment écrire une lettre de» sur Google. 

Série 3/4 – C’est Zazou qui gère une grande partie des tâches ménagères à la maison. Alors ses notes, ses projets et sa santé passent au second plan.

Illustration d'une fille qui tient dans ses bras un enfant, tout en faisant une machine de linge. Derrière elle, on voit l'ombre de deux personnes qui se disputent. Sur le sol, il y a son téléphone et une vignette montrant une photo d'elle et son copain qui s'enlacent.

À vrai dire, au début c’était marrant. J’avais l’impression d’être utile, je me sentais importante et ça m’occupait. À force, j’ai pris l’habitude mais cette excitation et cette sensation d’être utile ne durent qu’un temps : maintenant, ça me gonfle. Parfois, je fais même semblant de ne pas comprendre tel ou tel document pour passer le relais. Ma mère, elle n’a qu’à se débrouiller. Je sais que ce n’est pas bien mais bon, à force, c’est lourd. 

Je saurai me débrouiller avec l’administration

Parfois, quand je pense à tout ça, je me dis qu’il n’y a pas qu’un aspect négatif. Quand je vois des personnes de mon entourage qui sont en galère totale administrativement parlant, je me dis que moi, au moins, je sais faire. Quand mes camarades de classe sont perdus par rapport à leurs dossiers de bourse, ils me demandent de l’aide : « Si on a un souci avec des papiers, c’est toi direct ! » Ça reste gratifiant. Ils ont tous leurs bourses grâce à moi. 

Je sais au moins que si demain j’en viens à prendre mon indépendance, je saurai me débrouiller, c’est cool. Ça me permet d’être mature, responsable et organisée. Ce sont des points importants dans le monde du travail. Alors oui, c’est dur, ça demande de grosses responsabilités, c’est fatigant, c’est super lourd mais un jour ou l’autre ça me servira, que ce soit dans la vie personnelle ou professionnelle. Si je peux faire de ce « calvaire » à mi-temps un avantage, c’est tout bénef pour moi.

Sophia, 18 ans, étudiante, Rennes

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

À bas l’éducation genrée !

Les filles ont moins de temps libre que les garçons

Selon une étude réalisée en France en 2015, les jeunes filles et femmes entre 15 et 24 ans consacrent en moyenne 44 minutes de plus par jour aux tâches domestiques que leurs homologues masculins. Et la pandémie n’a fait qu’aggraver ces disparités. En 2021, une étude britannique a révélé que 66 % des filles et femmes de cet âge affirment passer plus de temps à cuisiner depuis la crise sanitaire, contre 31 % des garçons. Un temps qu’elles pourraient allouer à leur vie personnelle… et à leurs études.

Jouer les stéréotypes

Depuis 2019, les acteurs de la filière du jouet s’engagent chaque année à favoriser la représentation mixte des jouets à travers la signature d’une charte. Cette prise de conscience tardive a notamment été impulsée par des associations comme Pépite Sexiste, qui dénonce les stéréotypes sexistes diffusés par le marketing. Car, dès le plus jeune âge, les jouets participent à la reproduction des rôles traditionnels de genre. 

Vers une éducation non-genrée ? 

Encourager une éducation égalitaire, notamment à l’école, permettrait aux enfants de se construire hors des stéréotypes de genre. Mais l’institution scolaire fait face à des levées de boucliers. On se rappelle notamment de l’abandon de l’ABCD de l’égalité en 2014, suite à des pressions de groupes réactionnaires. Ce programme d’enseignement, proposé par l’ancienne ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem, était pourtant seulement destiné à « transmettre des valeurs d’égalité et de respect entre les filles et les garçons ». Pas gagné…

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1 réaction

  1. Bonjour,

    Merci pour cet article. Ça me rappelle des anciennes galères avec la CAF et la mutuelle étudiante. Je comprends que cette galère devient lourd si tu es la seule à t’y atteler.
    Bonne journée,

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