Nazla S. 24/05/2023

Afghanistan : trop peur pour aller à l’école

tags :

Quand Nazla était petite, c’était mal vu que les filles aillent à l’école. Aujourd'hui, depuis le retour des talibans au pouvoir, elles n’ont carrément plus le droit d’étudier après l’école primaire.

Les talibans ne laissent pas les filles sortir. Pas sans hijab. Pas sans être accompagnées d’un homme. Si elles sortent, ils les tapent ou les harcèlent. L’été dernier, une fin d’après-midi, j’ai vu un monsieur qui tapait sa femme à Commerce, dans le centre-ville de Nantes. J’ai ressenti à ce moment le même sentiment que j’avais ressenti en Afghanistan.

Je suis née là-bas. J’ai grandi à Kaboul jusqu’à mes 7 ou mes 8 ans. Quand j’étais enfant, mon frère allait parfois à l’école, mais pas moi. J’ai eu envie d’y aller et mes parents auraient bien voulu, même si je crois qu’ils avaient peur des réactions des voisins et de certains amis. Pour la plupart des adultes, ça ne servait à rien que les filles aillent à l’école, puisqu’elles ne travailleraient pas plus tard. Les dames comme les hommes avaient un avis à ce sujet.

Une de mes cousines disait tout le temps qu’elle voulait aller à l’école, et tout le monde lui disait toujours : « Pourquoi tu veux y aller ? Tu es grande, tu n’as pas besoin de ça. » Elle avait à peu près 10 ans. J’avais peur que les gens me traitent comme ma cousine, alors je n’y allais pas.

J’ai quand même fini par y aller un jour : ça s’est bien passé. Il y avait des filles que je connaissais qui m’ont dit bienvenue, les professeurs étaient très gentils. Le cours pour les filles était le matin. Les garçons, eux, venaient en classe l’après-midi. Malgré tout, j’avais peur qu’on parle dans mon dos. J’avais peur qu’on dise que je n’allais en classe que pour parler à des garçons – même si ma classe n’était pas mixte.

Les talibans nous surveillent

Mes parents m’encourageaient, mais au bout de dix jours, j’ai arrêté. J’avais trop peur. Une de mes copines avait parlé avec des garçons : j’étais à côté d’elle à ce moment-là, une autre fille nous regardait. Ma copine s’est tout de suite cachée. La fille a cru que c’était moi qui avais voulu leur parler. Elle m’a dit qu’elle allait le dire au professeur principal. Je me suis défendue. Je lui ai dit que ce n’était pas moi, que c’était une autre personne, mais je n’ai pas balancé ma copine. Elle a fait du chantage : elle m’a dit qu’elle ne me dénoncerait pas si je portais ses cahiers et son sac pendant une journée. Je n’ai pas accepté, et l’un des deux garçons qui avaient parlé à ma copine est intervenu pour me défendre. Après ça, la fille est partie en pleurant, et le garçon m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’elle n’allait pas me dénoncer.

Ce jour-là, je suis rentrée chez moi directement. Je ne suis plus revenue le lendemain ni les jours suivants. J’avais pleuré toute la nuit, j’avais eu très peur. Ma copine m’a dit par message que tout allait bien et que je n’avais pas été dénoncée ; elle me demandait de revenir à l’école pour être son amie, mais je n’ai pas voulu. J’avais trop peur que ça se répète. Je n’en ai pas parlé à mes parents, juste à ma grande sœur. Elle devait partir avec ma mère pour aller voir ma grand-mère dans une ville voisine. Finalement, elle est restée à la maison et m’a laissée partir à sa place pour que je puisse me détendre et oublier ce qui s’était passé.

Dans ma nouvelle classe en France

Maintenant, je me dis que j’aurais dû retourner à l’école, pour continuer d’apprendre. Je suis arrivée en France il y a quatre ans. J’avais 9 ans environ. Pendant un mois, on a été dans un hôtel en attendant de trouver un logement. Dès qu’on en a eu un, j’ai été à l’école qui était juste à côté. J’étais trop contente. Mais c’était difficile, j’avais peur d’avoir du retard par rapport aux autres enfants. Le premier professeur qui m’a accueilli a été très gentil. Même maintenant, quand il me recroise, il me dit bonjour, il est content de voir mes progrès en français.

Quand Tabish est arrivé en France, il a dû apprendre la langue, et vite. Malgré les cours à l’école et l’aide d’associations, le chemin est encore long.

Capture d'écran de l'article "Apprendre le français, je l'ai fait !" Sur la photo, on voit un homme à moitié de dos tenant un livre à la main. Il lit face à la mer. Il est assis et surplombe la ville.

Quelques jours après mon arrivée, je me suis faite harceler par des garçons qui se moquaient de moi en disant que je ne savais pas lire. À cette époque, je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, je savais juste dire bonjour. C’est mon prof et les autres élèves de ma classe, qui ont vu ce qui se passait et qui sont venus tout de suite pour m’aider et punir les garçons. J’étais trop contente. C’était la première fois qu’on faisait ça pour moi. C’est grâce à eux que je sais parler français maintenant.

Nazla, 13 ans, collégienne, Nantes

Crédit photo Hans Lucas // © Florient Zwein – Une jeune fille dans une école à Kaboul, en Afghanistan, le 18 novembre 2021.

 

 

L’enfer pour les femmes en Afghanistan

Depuis août 2021, les talibans sont de retour au pouvoir. Ils imposent leur interprétation de la charia, la stricte loi islamique dans tout le pays : une vision de l’islam totalitaire et profondément sexiste.

Les filles et les femmes n’ont plus aucun droit ni liberté. Toutes leurs activités sont restreintes et/ou chapeautées.

 

Voici une liste non exhaustive des règles à suivre quand on est une femme :

 

– Interdiction de sortir sans un homme

– Interdiction de sortir sans avoir le visage entièrement couvert

– Interdiction d’étudier après l’école primaire

– Interdiction d’exercer certains métiers

– Interdiction de signaler des violences domestiques

– Interdiction d’aller dans les gymnases et les parcs publics

 

Les opposante·s au régime sont détenu·es illégalement et torturé·es par les autorités. La presse ne peut ni photographier ni interroger les Afghanes : elles sont d’autant plus invisibilisées et réduites au silence.

Au péril de leur vie, les femmes protestent : elles montent des écoles clandestines, ou se filment, visages cachés, en train de danser ou chanter. La résistance s’organise, à coups de vidéos postées sur les réseaux sociaux.

 

Pour plus d’infos, le documentaire « Afghanes » est à retrouver sur france.tv, jusqu’au 19 juillet.

 

 

Partager

1 réaction

  1. Un grand merci à Alizée qui sait accompagner avec tact et talent les élèves dans leur maïeutique pour produire des écrits d’une intensité et d’une émotion rares. Cette expérience littéraire marquante est un souvenir émouvant pour les collégiens comme pour les professeurs.

Voir tous les commentaires

Commenter