Come J. 16/02/2023

Bobo malgré moi

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Urbain, diplômé, de gauche, Côme correspond au stéréotype du bourgeois-bohème. Et quand on le lui reproche, il ne voit pas le problème.

Je porte une moustache, un pantalon retroussé, des baskets usées, une banane ou un sac en toile selon les jours. J’achète le plus possible des produits bio et du pain en miche. Je bosse dans la culture et suis convaincu de l’utilité des tiers-lieux. Pas d’hésitation possible, je suis un bobo. Je suis bien incapable de donner une définition à ce mot, pourtant je sais qu’on me classe dans cette catégorie.

Nuance à apporter, je le suis malgré moi. Je ne fais pas des choix dans l’objectif d’être un bobo, mais je prends des décisions généralement admises comme étant celles d’un bobo. Surtout depuis que j’habite à Montreuil.

La gentrification, c’est moi

J’ai hérité de mon grand-père une somme qui m’a permis d’avoir un apport, ce qui facilite pas mal (c’est un euphémisme) les choses pour obtenir un prêt à la banque : ça et un CDI. Sans le CDI, c’est impossible. Je ne pensais pas du tout à l’achat immobilier, c’était très loin de moi : « projet d’adulte, responsabilités d’adulte ». C’est ma mère qui me l’a conseillé quand je lui ai dit que je cherchais un appartement à louer.

J’ai visité des appartements à Paris et j’ai vite abandonné. C’est hors de la raison et inaccessible. C’est une sorte de jungle immobilière. Je viens de l’est parisien. J’y suis retourné : Montreuil. Desservi par le métro, proche de ma famille, plein de copains qui y habitent et des Montreuillois qui me disent que c’est la meilleure ville possible. Je ne parle pas de n’importe quel Montreuil, mais du quartier de la Mairie : le repère des bobos. En y allant, je le savais et je ne me suis pas posé la question : une opportunité à saisir, j’étais content.

Je n’ai rien mérité mais c’est bien là une preuve de plus de la reproduction sociale. Mes parents sont de classe moyenne supérieure, je crois l’être aussi. J’ai 28 ans et je suis propriétaire (de mes dettes). « Alors heureux ? », dit le slogan de ma banque. Bien sûr, je ne m’y attendais pas et c’est là. Heureux mais conscient, bien conscient que la gentrification c’est moi.

Quoi que je fasse, je serai un bobo

Moi et mon métier « à impact », c’est-à-dire dont l’activité répond à des enjeux d’écologie, d’égalité sociale ou qui va dans le sens de l’intérêt général. Si je rêve de sens dans mon quotidien ou simplement d’un métier éloigné de la vie de bureau, c’est parce que je me dis que, quand on a le luxe du choix dans son parcours, on doit faire preuve d’un minimum d’engagement.

Moi et mes amis et voisins qui pensent pareil, qui ont des boulots divers et variés (graphiste, intermittent, architecte, data analyst, emmancheur de couteau, employée dans un magasin de vinyles), ou en lien avec le secteur culturel, ou à vocation sociale.

Moi et tous mes petits gestes quotidiens. Je quitte des collègues dans un bar et prends un Vélib’ (vélo en libre-service de la ville de Paris) pour rentrer. C’est plus rapide et plus sympa que de prendre le métro ! Pour ma collègue, c’est un truc de bobo. J’achète des légumes issus de l’agriculture biologique. Pour un pote, c’est un truc de bobo. Quand j’ai trouvé mon travail, je l’ai choisi parce que ça correspondait à ce que je savais faire et à l’utilité que je souhaite donner aux 39 heures que j’y passe par semaine. Accompagner des jeunes dans la poursuite d’études artistiques et culturelles, j’y vois une utilité, un positionnement politique. J’ai du mal à comprendre comment un mec a pu me dire : « Ouais, c’est un truc de bobo un peu »

Une copie conforme de mes voisins

Personnellement, je préfère aller boire une pinte de mauvaise bière pas chère dans un PMU plutôt qu’une IPA dans un bar guindé. De la même manière, je préfère aller vivre dans un quartier avec une certaine mixité sociale. J’en viens à me demander si je (le bobo en général) ne fuis pas l’entre-soi, alors même qu’on me (lui) reproche tout l’inverse ?

Par mimétisme, je m’habille dans le même style qu’énormément de gens. C’est assez commun : nos amis nous ressemblent et s’habillent comme nous. Ce pour quoi il m’a fallu un petit temps d’adaptation, c’est de me faire à l’idée que beaucoup de gens dans le quartier sont mes copies conformes.

En fait, j’ai l’impression que le bobo a une volonté de dépasser les classes sociales et rêve de mixité partout. Il va donc fréquenter des lieux plutôt populaires et forcer une mixité dans des lieux qu’il apprécie car : pas chers, bonne franquette, pas forcément assiégés par 10 000 Parisiens… Or, à mon sens, le phénomène de gentrification est inhérent à ce comportement.

Sur le papier, Clémentine est écolo. Mais, dans la vraie vie, au travail ou chez elle, c’est compliqué de consommer comme elle le voudrait.

L'image est une capture d'écran de l'un de nos articles : "J'aimerais être cette bobo écolo féministe". La photo représente une femme dans un champ. On ne voit pas sa tête, elle est cachée par un cercle qui laisse apparaître ce même champ. En bas de l'image, en blanc, apparaît le titre.

Finalement, cette appellation, j’ai décidé de m’en foutre et de passer outre. Sinon, je vais passer mon temps à essayer de la fuir et à voir tout sous le prisme du regard des autres. Je me dis que, quand on vit avec l’anticipation permanente du regard des autres, on ne vit plus.

Je me suis tout de même renseigné. J’ai trouvé une définition, visiblement partagée, que j’ignorais jusqu’à présent : « Une personne, plutôt diplômée, ayant des revenus sans qu’ils soient faramineux, qui profite des opportunités culturelles et vote à gauche. » Il y a un peu de moi, et ça ne me dérange pas.

Côme, 28 ans, salarié, Montreuil

Crédit photo Pexels // CC Armand M

 

 

BOBO

bourgeois·e      bohème

C’est quelqu’un de cultivé·e et d’aisé·e, mais qui revendique son anticonformisme.

→ Une personne bobo n’aime pas la grande distribution : elle consomme des produits locaux et des vêtements de seconde main.

→ Une personne bobo n’aime pas la grande bourgeoisie : elle vit dans un quartier mixte (ni trop populaire, ni trop huppé).

→ Une personne bobo n’aime pas les voitures : elle utilise des moyens de transport non polluants et sculpte son summer body à vélo.

→ Une personne bobo n’aime pas les comédies françaises : elle préfère aller voir un film d’auteur ou d’autrice dans un ciné d’art et d’essai, et fréquente assidûment les musées.

 

 BOUBOUR*

bourgeois       bourrin

C’est quelqu’un de cultivé et d’aisé, qui est fatigué de s’excuser d’avoir des privilèges.

→ Le boubour n’aime pas la bien-pensance : il applaudit les blagues racistes, misogynes ou homophobes, parce qu’il pense qu’on peut rire de tout.

→ Le boubour n’aime pas les féministes : il a peur de ne plus pouvoir monter dans un ascenseur avec une femme sans être accusé de viol.

→ Le boubour n’aime pas le végétarisme : il veut bien que les vegans mangent des céréales dans leur coin, tant qu’ils n’appellent pas ça un steak.

 

* Terme inventé par l’essayiste Nicolas Chemla

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