Les cauchemars de mon parcours migratoire
La nuit, ça m’arrivait de faire des rêves sur le parcours migratoire jusqu’ici depuis mon pays d’origine, la Guinée. J’ai fait le Mali, l’Algérie, le Maroc, l’Espagne et la France. Quand je faisais des cauchemars, je sursautais sur mon lit et ma tête me faisait mal. C’était la routine, toujours les mêmes cauchemars, une à deux fois par semaine.
J’ai commencé à en faire en arrivant au Maroc, sur ce que j’avais subi dans le désert entre le Mali et l’Algérie, dans la zone d’In-Afara. J’ai subi des tortures pendant deux mois de la part des passeurs. Ils nous tapaient avec leurs clés de roue et leurs fusils, ils nous privaient de nourriture et nous donnaient à manger qu’une seule fois en vingt-quatre heures. On nous enterrait les jambes jusqu’aux genoux pendant des heures en plein soleil. C’était une pression pour qu’on appelle au pays, qu’on explique ce qu’on subissait à notre famille et qu’ils ramènent de l’argent aux passeurs. Dans mes cauchemars, je voyais les images de ce que j’avais subi avec d’autres frères qui étaient avec moi. J’entendais les cris, je voyais les gens tabassés à terre, je voyais les os des personnes mortes dans le désert…
Ensuite, quand je suis arrivé en France, j’ai continué à faire des cauchemars, mais sur ma traversée entre le Maroc et l’Espagne. On était trente-deux dans un Zodiac qui ne pouvait prendre que quinze à dix-sept personnes. Dans mes rêves, je voyais les vagues et les requins. On a frôlé la mort puisque notre Zodiac a commencé à prendre l’eau. Un de nos amis est mort. On avait fait plus d’un mois dans la forêt ensemble, c’est là-bas qu’on s’était rencontrés. Il a rendu l’âme. Ça a été un coup très dur pour le reste du groupe. Après, on a encore fait quatorze heures de voyage avant qu’on nous localise.
J’ai pu raconter mon parcours migratoire à un psychologue
Après quarante-huit heures, enfin, la Guardia Civil [la garde civile, c’est un corps de gendarmerie, ndlr] espagnole nous a envoyé leurs bateaux de sauvetage, puis nous a conduit dans leurs centres de détention. C’était dur d’arriver en Espagne sans que notre ami ait pu atteindre son objectif. Là, on a passé deux jours avant d’être transférés dans différentes associations du pays. On nous a présenté des psychologues. Je n’ai fait qu’une séance parce que je ne voulais pas rester en Espagne. J’étais dans le coup dur quand j’ai discuté avec lui. Je n’arrivais pas à bien penser à cause de tout ce qu’on avait subi dans la mer, et la mort de notre ami.
C’est par écrit, dans une lettre à sa mère, que Sinaly raconte son douloureux voyage jusqu’en France, et qu’il lui avoue à quel point elle lui manque.
Je suis arrivé à Paris le 17 octobre 2020. J’ai essayé de dormir dehors, dans le métro. Je n’arrivais même pas à dormir. Il faisait froid, j’avais de l’asthme… et si je commençais à avoir un peu sommeil, mes cauchemars revenaient. Grâce aux personnes qui dormaient dehors avec moi, j’ai connu l’association Aurore. Ils m’ont orienté vers des hôpitaux et c’est là-bas que j’ai vu un psychologue. Je le voyais chaque semaine. Il me posait des questions, il me donnait des conseils. Je lui ai tout raconté, il me disait : « Il ne faut rien garder. » Ça m’a beaucoup aidé.
Ma vie aussi a changé. J’ai commencé à m’intégrer, j’ai fait ma demande d’asile et tout a bien marché. Ça s’est amélioré petit à petit. Je ne le vois plus, et là ça fait trois, quatre mois que je n’ai pas fait de cauchemars. Par la grâce de Dieu, par le biais du psychologue, aujourd’hui al hamdoulillah, tout se passe super bien.
Mamadou, 22 ans, en formation, Paris
Crédit photo Pexels // CC cottonbro
90 %
des migrant·es vers l’UE ont été victimes de passeurs en 2015.Qu’est-ce qu’un passeur ?
C’est quelqu’un qui fait passer illégalement des migrant·es d’un pays à l’autre. Ce « service » coûte plusieurs milliers d’euros, et met les migrant·es en danger, notamment lorsqu’elles et ils traversent la mer sur des canots pneumatiques.
Quels sont les risques ?
Celles et ceux qui n’ont pas les moyens de débourser cette somme sont souvent exploité·es afin de « payer » leur traversée : prostitution forcée, esclavagisme… Les passeurs font aussi chanter les familles des migrant·es jusqu’à ce qu’elles payent.