Alex F. 05/10/2023

La coloc de la débrouille

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Entre course à l'économie, récup et un chouïa de larcin, Alex et ses deux colocs affrontent la galère précaire ensemble. Une situation à laquelle quatre jeunes sur dix sont confrontés en France.

Il est à peu près 21 heures, les étoiles brillent dans le ciel. Shaun et moi marchons pour rentrer à Mermoz, un quartier résidentiel toulousain, quand on se rend compte que c’est le soir des poubelles. Ni une, ni deux, comme d’habitude, nous partons voir s’il n’y aurait pas de quoi récupérer à manger dans les poubelles du Aldi. On fouille quelques minutes et victoire ! Voilà une cagette pleine d’avocats un peu mûrs. Et des plantes aussi, ce sera bien pour décorer la cuisine. Rien d’autre, mais c’est déjà cool : on va faire plein de guacamole.

Cette quête de nourriture, c’est un peu notre quotidien depuis un an : entre précarité subie et récup consciente.

Ça fait sept mois qu’on vit à trois dans une coloc pour deux. Léa et moi avons nos chambres et Shaun dort sur le canapé-lit du salon. Sans mentir, on est un peu serré·es et parfois on se marche dessus… mais il y a une super entente entre nous.

Léa et Shaun sont mes meilleur·es potes. Léa est étudiante en troisième année d’anthropologie. Elle milite pas mal dans sa fac et touche les bourses. Shaun, c’est un petit mec trans qui s’est fait virer de chez lui par ses parents transphobes. Il est inscrit à la mission locale et fait le contrat d’engagement jeune (CEJ), qui permet d’obtenir une rémunération contre quinze heures d’activités par semaine. Il cherche un CDI pour pouvoir déménager et avoir une chambre à lui tout seul. Quant à moi, je cherche ma voie, quelque chose qui me plaît, en faisant des stages et du bénévolat dans plein de domaines et assos différentes.

Mais tout ça cumulé, ça ne nous rapporte pas beaucoup d’argent…

Des économies à l’anti-gaspi

Ça fait sept mois qu’on vit à trois avec 1 200 balles par mois, plus les APL pour nous aider. Du coup, ça fait 1 200 euros pour la bouffe, le reste du loyer, les charges, les sorties (on a une vie sociale) et les clopes. Autant dire que c’est un peu juste pour les courses. Avec environ 40 euros par semaine, comme on mange beaucoup, en cherchant les produits les moins chers, ça fait l’affaire : pâtes, riz, semoule, œufs, fruits, légumes, café, quelques gâteaux, du pain et du lait pour faire des gaufres.

On trouve aussi des solutions pour gratter un peu plus de nourriture : les poubelles des supermarchés une fois toutes les deux semaines ; la fin des marchés pour récupérer les invendus (légumes, fruits et plats cuisinés) le dimanche ; les applis de récup de nourriture genre Too Good To Go (vente à moitié prix de produits à la date limite de péremption) ; les assos qui distribuent des denrées alimentaires le lundi ; récupérer des trucs chez nos parents quand on rentre.

Ça nous correspond bien, parce qu’il y a aussi une dynamique anti-gaspi intéressante et importante. Pouvoir récupérer des produits destinés à être jetés alors qu’ils sont encore bons, ça a un petit impact écologique et social au-delà de l’aspect financier. Même si cet impact n’est pas si important, c’est hyper cool de pouvoir faire notre part des choses.

Trouver des feintes

Je ne vais pas mentir, ça m’arrive aussi de voler dans les supermarchés. Je ne prends que certains produits, ceux qui sont trop chers pour moi, comme la viande, le poisson, les avocats et autres produits exotiques, le chocolat, le fromage. Je sais que je prends un risque, mais c’est le genre de denrées qui fait vraiment plaisir et chaque euro compte.

Pour les sorties, il faut aussi trouver des feintes ! On aime faire la fête, donc on se débrouille. Privilégier les bières en canette, les événements gratuits ou à prix libre, trouver des réductions sur les places de ciné et profiter des journées gratuites au musée.

C’est un peu difficile parfois, parce qu’on a 21 ans, pas d’emploi stable et peu de maturité. Toujours devoir trouver des solutions pour résoudre nos problèmes d’argent tout en continuant à profiter de la vie et se faire plaisir, c’est fatigant.

Quand Douce était étudiante, elle a vécu avec 450 euros de bourse par mois pour payer son loyer et ses factures, en oubliant les sorties et les loisirs.

Capture d'écran de l'article "Précarité étudiante : pendant mes études, j'étais en mode survie". Sur la photo, des étudiants sur des chaises devant un bâtiment et une affiche sur laquelle il est écrit : "Et toi, tu (sur)vis avec 450€ par mois ? #LaPrécaritéTue".

Je ne sais pas combien de temps cette situation va durer, je me vois encore faire les fins de marché dans quelques années, c’est toujours de la bonne récup ! Mais les poubelles, je ne sais pas… Pour l’instant, c’est une situation d’urgence : pas le choix, donc on prend les choses avec légèreté et on rigole bien.

Je pense que j’aurais moins bien vécu tout ça si j’avais été seul·e. Là, au moins, il y a du soutien, on galère ensemble et c’est presque fun.

Alex, 21 ans, en recherche d’emploi, Toulouse

Crédit photo Pexels // CC Los Muertos Crew

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1 réaction

  1. Bonjour,
    Je suis journaliste pour la télévision, serait-il possible de rentrer en contact avec ces jeunes gens ?
    Merci.
    Adèle Latour

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