Caroline M. 03/06/2022

Je désinstalle Twitter tous les deux mois

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Caroline n’arrive pas à quitter Twitter, malgré les débats qui dérapent, les insultes et le harcèlement. Ce réseau, elle y est accro.

Derrière son écran, c’est tellement plus simple d’exprimer sa haine, d’insulter ou de rabaisser. Ayant été active, et même trop impliquée à mon goût dans plusieurs débats concernant ma religion sur Twitter, je peux vous dire que ça peut être très violent. En plus, ce réseau social est très addictif et me prend énormément de temps. Voilà pourquoi je désinstalle et réinstalle Twitter tous les deux mois.

Insultée pour avoir parlé

Un jour, suite à la vidéo de Mila qui blasphémait sur la religion, sur Dieu et sur le prophète, j’ai affirmé que le port du voile était une obligation dans notre religion, et que tous les imams qui disaient le contraire étaient des imams égareurs. À cause de cela, on m’a dit que j’étais une « conne soumise » et qu’il fallait que je me réveille, que ma mère aussi était soumise, que mon père était un « sexiste et un macho de merde ».

Il y a aussi eu des insultes anti-musulmans contre ma mère et mon beau-père alors qu’ils sont catholiques et pratiquants, enfin le truc qui n’a rien à voir vous savez. Les gens se font une image de la religion et des musulmans sans rien y connaître et vous insultent parce qu’ils ne sont pas d’accord avec vous.

Twitter est très propice à ce genre de situations violentes et agressives parce que c’est un réseau qui est basé sur l’écriture : les gens ont bien compris que parfois, les mots peuvent faire plus mal que des actes physiques. Je pense que c’est vraiment ça qui conduit à autant de débordements.

Roue libre dans le Space Twitter

Depuis l’année dernière, Twitter a inclus dans une de ses mises à jour les « Spaces ». C’est une nouvelle fonctionnalité qui permet de faire des appels à plusieurs. Le ou les hôtes ont la possibilité de donner la parole aux auditeurs pour intervenir.

Un soir, alors que je venais d’entrer dans un Space, dans lequel la religion n’était même pas le sujet de base, une fille en est venue à dire que tous les musulmans allaient finir par faire le djihad tôt ou tard, parce que soit disant « ça fait partie de la religion de combattre et lutter contre les mécréants » (non musulmans).

Franchement, j’étais très peu bavarde dans le Space mais je ne pouvais pas laisser passer ça. Je lui ai donc demandé d’où elle tenait ces informations. Elle m’a dit que c’était « la base » de savoir ça. De manière agressive, j’avoue, je lui ai dit que c’était SA base à elle et qu’il ne fallait pas qu’elle parle sans science ni preuves. C’est là que c’est parti en cacahuète.

Elle a commencé à me traiter, et je l’ai insultée puis elle répliquait, et les autres forcément s’en sont mêlés. Tout ce cirque a duré au moins une heure. J’ai fini par quitter le Space. Mais elle ne voulait pas lâcher l’affaire, je l’ai vue continuer à m’insulter dans des tweets où elle me mentionnait. Elle et ses collègues se moquaient de moi, ils ont même commencé à insulter ma famille qui n’est concernée ni de près ni de loin. Je ne pouvais pas ne rien dire.

Première désinstallation

Ce soir-là, j’ai désinstallé l’application pour la première fois, pendant deux jours. Quand je suis revenue, ça ne s’était toujours pas tassé. Elle répondait à chacun de mes tweets pour m’insulter gratuitement. On aurait dit qu’elle n’avait pas d’autres occupations. Ça commençait sérieusement à m’affecter, alors j’ai désactivé l’appli encore une fois pendant quelques jours. Quand je suis revenue, mes notifications étaient tellement pleines que je n’avais même pas la force de répondre. J’ai fini par bloquer cette fille et quelques-uns de ses collègues.

Quand elle a commencé à m’envoyer des messages privés avec un autre compte, j’en ai eu tellement marre que j’en ai même parlé à ma mère. Elle m’a dit de la bloquer et de ne plus lui répondre. C’est ce que j’ai fait, mais c’était sans compter sur sa détermination. Une folle furieuse, en fait. Je l’ai retrouvée dans mes dm (messages privés) sur Insta le jour même où j’ai bloqué son compte secondaire sur Twitter. Franchement, j’en pouvais plus. Je l’ai bloquée sur Insta et signalée.

Twitter, un réseau tellement addictif

J’ai maintenant pour habitude de désinstaller l’application parce que ça me prend énormément de temps inutilement. C’est comme un divertissement et je pense que quand on a une bonne TL (timeline, les tweets qui constituent le fil d’actualité), Twitter peut être aussi prenant que TikTok. Quand je désinstalle Twitter, ça me permet de me détacher de mon téléphone. Je gagne une heure par jour, j’ai plus de temps pour m’instruire, ou pour lire des romans.

Rayan a découvert l’islamophobie à 14 ans, en même temps que Twitter et les comptes anonymes d’extrême-droite déversant des propos haineux contre sa religion.Capture d'écran d'un autre article de la ZEP. On voit un montage photo avec un emoji qui se tient le visage, derrière lui, il y a un ensemble de tweets islamophobe qui flottent sur un fond dégradé orange et jaune. Des emojis cochons et des emblèmes en or sont présents également entre les tweets

Mais Twitter est tellement un réseau addictif que franchement, je n’ai jamais pensé à le quitter définitivement. J’ai beaucoup de contacts avec qui j’interagis tous les jours, y’en a qui sont devenu des amis, que j’ai rencontré irl ( « in real life », dans la vraie vie).

C’est une source d’information et surtout de divertissement, et je pense que c’est pour ça que je ne décrocherai jamais définitivement. Je fuis souvent quand on se retrouve avec des actualités qui, je le sais, vont me pousser à l’ouvrir. À ce moment-là, je m’en éloigne quelques semaines s’il faut, le temps qu’on passe à autre chose, mais je reviens toujours.

Caroline, 19 ans, étudiante, Montpellier

Crédit photo Unsplash // CCAkshar Dave

 

Les chiffres du cyberharcèlement*

41 % des Français·es ont déjà été harcelé·es sur internet, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur des messageries privées. Chez les jeunes, le cyberharcèlement prend des proportions énormes, puisque 87 % des moins de 25 ans déclarent en avoir déjà été victimes.

Les femmes et les minorités sont particulièrement confrontées à ces agressions : 85 % des internautes issu·es de la communauté LGBTQIA+ et 78 % des personnes racisées ont déjà subi du cyberharcèlement… Bref, les discriminations se perpétuent aussi sur les réseaux.

*chiffres issus d’une enquête de l’Ipsos menée en novembre 2021

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