À mon tour d’être à la hauteur
J’espère intégrer une bonne école d’ingénieur pour faciliter la vie de ma mère. Je rêve de lui permettre de se poser dans son lit, qu’elle puisse se lever et voir un salaire sur la table sans qu’elle ait à fournir le moindre effort. Qu’elle puisse avoir toutes les choses dont elle a besoin en un claquement de doigt.
Mes parents m’ont rarement parlé de leur vie passée aux Comores. C’est en grandissant que je me suis rendu compte de tous les efforts qu’ils ont fournis pour moi et ma grande sœur. Mon père n’est pas venu avec de grands diplômes en poche. Il s’est arrêté à la fin du collège. D’abord, il y a eu la galère d’obtenir des papiers français. Ensuite, il s’est retrouvé à travailler dans des métiers que personne ne voulait faire.
À partir de mes 5 ans environ, il était homme de ménage dans une clinique. Il s’exposait constamment à des produits chimiques et de la poussière alors qu’il avait des problèmes aux poumons et des migraines constantes. Grâce à des photos, je sais qu’avant, il travaillait dans une station de ski où il aidait sûrement à l’entretien. Quand j’ai eu environ 12 ans, j’ai demandé à ma mère : « Pourquoi papa il mange beaucoup de riz ? » Elle m’a raconté qu’il ne mangeait que ça quand il travaillait là-bas. C’était plus facile de s’en procurer et d’en faire.
Jamais de vacances
Du côté de ma mère, même si on n’a jamais vraiment discuté de ça, je sais qu’elle a un peu galéré. Avant ma naissance, elle a vécu un moment dans un refuge avec ma grande sœur parce qu’elle n’avait pas de logement. Peut-être parce qu’elle venait juste d’arriver en France.
Je ne les ai jamais vus prendre de vacances ou se faire plaisir. Mon père faisait toujours l’effort de me rendre heureux avec des petites attentions, comme des cadeaux, des jouets ou des goûters à la fin des cours. Ma mère a toujours été attentionnée en me demandant chaque jour comment j’allais, ou en me préparant, le soir, les plats que j’aime. Je n’ai jamais eu à me plaindre, alors qu’ils vivaient avec le minimum pour subvenir à nos besoins, payer le loyer et gérer l’école.
Ma mère a toujours travaillé dans un endroit où ils font du recyclage d’habits à la chaîne. Je ne pense pas que ça lui plaise vraiment, elle s’en plaint des fois. Elle en souffre car elle a souvent mal aux pieds. Mais elle ne veut pas changer de travail parce qu’il est proche et dans ses compétences.
Suite au décès de mon père il y a trois ans, j’ai découvert une nouvelle facette d’elle. Elle doit gérer plein de choses toute seule, comme les courses et les démarches administratives. Elle a redoublé d’efforts malgré la fatigue, le travail et les douleurs physiques constantes. Mais elle a toujours su rester forte. Quand je peux, j’essaie d’alléger ses tâches à la maison, les démarches administratives par exemple. En même temps, je continue à faire mon possible au lycée. J’ai toujours bien travaillé à l’école. Pour moi, c’est la moindre des choses.
Qui dit efforts dit pression
J’ai 18 ans, je vais bientôt passer mon bac et terminer mes années au lycée. Je me dis que je dois leur rendre la pareille et les rendre fiers, leur montrer qu’ils n’ont pas fait tous ces efforts pour rien. C’est une pression que je m’inflige tout seul. Ça me motive pour faire de grandes choses, choisir une bonne orientation et finir avec un bon métier.
Les parents de Loukas se sacrifient afin qu’il puisse avoir accès à ce qu’ils n’ont pas connu : une éducation de qualité dans un lycée privé.
Je vois ma sœur de 25 ans qui, elle, a réussi. Elle a trouvé un travail, elle peut aider ma mère. Elle l’amène en voiture à chaque fois qu’elle a besoin, elle fait les courses, elle lui passe de l’argent… Moi aussi, je dois tout donner. En même temps, j’ai peur que ça impacte ma santé, moi qui aime me retrouver seul, ou sortir avec des amis, lire des livres pour me détendre.
Dans les mois à venir, je vais passer mon permis pour alléger ma sœur et faire le taxi pour ma mère. L’année prochaine, j’ai décidé d’aller souffrir deux années en prépa où je peux dire adieu à un travail le week-end, et à ma vie sociale. Mon avenir commence à se jouer et j’ai l’obligation de faire les choses bien.
Kamal, 18 ans, lycéen, Chanteloup-les-Vignes
Crédit photo Pexels // CC Oladimeji Ajegbile
Le savais-tu ?
L’école n’aggrave pas les inégalités, mais elle les reproduit. Un·e élève issu·e de milieu défavorisé a deux fois moins de chances d’aller au lycée, et les enfants d’ouvrier·es sont trois fois moins nombreuses et nombreux que celles et ceux de cadres supérieur·es à poursuivre des études après le bac.