Trois exorcismes pour me « sauver » de l’homosexualité
C’était une nuit d’été, un peu fraîche pour la saison et l’air était lourd, comme si le ciel lui-même anticipait l’orage qui s’annonçait. J’aurais sans doute dû faire de même, mais contrairement à l’orage qui annonce sa venue, je n’ai pas vu venir ce qui allait m’arriver.
Ce n’est jamais facile de faire un coming-out. Après tout, ce n’est pas tous les jours que l’on change la façon dont nos proches nous perçoivent. Même dans les meilleures circonstances, cela demande un certain courage. Et elles étaient loin d’être idéales.
Né dans une famille congolaise protestante extrêmement pratiquante, j’ai grandi avec certaines valeurs, certaines opinions qui ne correspondaient pas toujours à la personne que j’étais en train de devenir. Ce n’était pas facile de jouer les fils semi-parfaits tout en explorant ma propre identité. Parfois, j’en venais même à me demander qui j’étais vraiment… C’est sans doute cela qui m’a poussé à faire mon coming-out : le besoin de n’être qu’une seule version de moi, sans contradictions et faux-semblants.
Mon père aurait préféré me voir mort
Allongé sur le lit de ma sœur, j’étais plongé dans la lecture d’une fanfiction. Une histoire d’amour épique, de celles qui ne semblent exister que dans les mots couchés sur l’encre et les rêves de romantiques incurables, une de ces histoires que je rêvais secrètement de vivre un jour…
Évidemment, les choses se sont mal passées. Entre cris et pleurs, remords et reproches, ma relation avec mes parents s’est dégradée. À l’époque, je ne comprenais pas vraiment pourquoi c’était si compliqué pour eux d’accepter mon homosexualité. Ce n’est pas comme si j’avais commis un crime irréparable, j’étais juste un peu différent d’eux. Et encore aujourd’hui, maintenant que je comprends leur raisonnement, leur réaction me semble injuste et cruelle.
J’avais 14 ans quand mon propre père m’a avoué qu’il aurait préféré me savoir mort plutôt que gay ; quand ma mère, en larmes et dévastée à mes pieds, m’a demandé pourquoi je lui infligeais ça. J’avais 14 ans lorsqu’ils m’ont jeté à la rue. Ça n’a pas duré longtemps, juste une semaine ou deux à vivre chez une tante. Mais, à mon retour, plus rien n’était pareil… On n’a pas reparlé de « l’incident ». Ce n’est pas le genre de la famille. Mais leur comportement était différent. On devait prier ensemble tous les soirs avant de dormir.
Pour eux, je suis un pécheur
Je subissais un interrogatoire chaque fois que je sortais pour autre chose que l’école : « Où est-ce que tu vas ? C’est qui ce garçon ? Vous allez faire quoi ? Il y aura qui avec vous ? » Des questions qui peuvent paraître innocentes pour des parents concernés. Mais jusqu’ici, je n’avais qu’à prévenir que je sortais et préciser l’heure à laquelle je comptais rentrer pour avoir le feu vert. Je devais désormais faire un descriptif détaillé de chacune de mes sorties, ainsi qu’un compte rendu complet à mon retour. Comme par hasard, ma fratrie en était exemptée !
Je n’étais pas prisonnier, tant que je jouais le jeu. Je pouvais voir mes amis comme d’habitude mais avant chaque sortie, en plus de l’interrogatoire, j’avais droit à de longues tirades sur le paradis et l’enfer, sur la tentation du péché et mon devoir, en tant que fils, qui est d’honorer mes parents. Ils imaginaient toujours le pire et me faisaient comprendre sans trop de subtilité que, pour eux, j’étais un pécheur.
J’étais malade, et je pouvais être guéri
J’ai sursauté à leur arrivée, comme un voleur qu’on surprend la main dans l’sac. Le pasteur m’a souri, mon père, un peu en retrait, observait. Ma mère m’a pris par la main. Ils voulaient me parler…
Très vite, nous avons commencé à recevoir la visite du pasteur. Il passait en soirée pour parler à mes parents, les conseiller. Je me doutais bien que j’étais leur sujet de conversation, mais je n’étais jamais inclus. Vous imaginez ? Être assis dans votre chambre tandis que, dans la pièce d’à côté, un conseil se tient pour décider de votre sort… Mon propre conseil Koh-Lanta à la maison, et leur sentence est irrévocable !
Après chaque visite, mes parents devenaient plus inquisiteurs, plus oppressants, les prières duraient plus longtemps et les sermons étaient plus accablants. Pas une seule fois on n’a prononcé le mot « gay » ou « homosexuel ». C’était sans doute ça le plus atroce : pour eux, je souffrais de ce « mal » si affreux qu’il ne devait pas être prononcé. J’étais malade, et donc je pouvais être guéri. Ils avaient de l’espoir et une part de moi préférait affronter leur haine que leur arracher cet espoir. Tant et si bien que j’ai commencé à me sentir coupable.
Mon premier exorcisme
Le pasteur s’est mis à me parler de pulsions impies, de comment, parfois, des gens bien pouvaient être tentés de faire de mauvaises choses par des esprits mauvais et que ces esprits avaient pour but de nous éloigner de Dieu. Qu’il fallait que je m’accroche et laisse Christ me guider vers le droit chemin.
Et puis c’est arrivé. Je ne savais pas trop comment réagir, la situation semblait si irréelle et bizarre. Ce n’est pas tous les jours que l’on se fait exorciser ! La main sur ma tête, le pasteur priait, criait presque, tandis que mes parents psalmodiaient autour de moi. C’était des prières de protection et de délivrance, surtout en lingala. L’incompréhension a vite laissé place à une irrépressible envie de rire. Non pas que la situation fut particulièrement drôle, c’était plus proche d’un rire nerveux. Mais je me suis retenu. Je ne voulais pas froisser mes parents et le bon pasteur. Quand ça s’est fini, je crois bien que j’ai pleuré. Pas beaucoup, juste le temps de réaliser la gravité de la chose.
Difficile de croire en Dieu
Avant le premier exorcisme, je n’avais jamais vraiment questionné ma foi. Il y en a eu d’autres comme ça, avec moi au milieu. Deux autres, pour être exact. Au bout de la troisième, mon rapport à la religion et à Dieu avait complètement changé. Difficile de croire en un dieu qui ne croit pas en moi…
Depuis qu’elle a annoncé sa bisexualité à ses parents, ils lui imposent de garder son orientation sexuelle secrète. Laura est réduite au silence… au nom de l’équilibre familial.
Malheureusement pour mes parents, je suis toujours aussi gay (peut-être même plus qu’avant). Je vis mieux leur incompréhension et leur rejet. Je sais qui je suis, je suis relativement épanoui dans ma vie et j’ai toute la liberté dont je rêvais quand j’étais ado, maintenant que je vis tout seul. Quant à mes parents, je suis plus tolérant avec eux.
Ils sont d’une autre époque, avec une éducation particulière et une vision du monde un peu vieillotte. Mais elle est profondément ancrée en eux, et c’est difficile de s’en défaire. Je sais qu’un jour ils finiront par s’y faire, à défaut de l’accepter. En tout cas, je l’espère… Je ne crois pas que mon homosexualité fragile pourra supporter un quatrième exorcisme !
Kalenga, 22 ans, étudiant, Évry
Crédit photo Pexels // CC Mart Production
Les thérapies de conversion
Les thérapies de conversion sont des rites, souvent proposés par l’Église, visant à rendre hétéro une personne homosexuelle.
Ces « thérapies » sont non seulement inefficaces, puisque l’homosexualité n’est pas une maladie, mais elles donnent surtout lieu à beaucoup de violences psychologiques et physiques.
Les cas de suicide chez les victimes des thérapies de conversion sont encore plus nombreux que dans le reste de la communauté LGBTQIA+.
Les thérapies de conversion sont interdites en France depuis le début de l’année seulement, et encore pratiquées en toute impunité dans de nombreux pays.
Pour comprendre l’ampleur de ce phénomène et ses conséquences sur la vie des victimes, on te conseille de regarder le super documentaire Homothérapies, conversion forcée de Bernard Nicolas (Arte).