Lara D. 02/02/2023

De la petite robe au gros jogging

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Plus Lara s'est passionnée pour le foot, plus elle a adopté le style vestimentaire sportif. Elle n’a jamais cédé face aux critiques.

J’ai commencé le foot avec mon papi. Au début, c’était plus pour le fun et pour lui faire plaisir. J’avais 8 ans. Petit à petit, c’est devenu quelque chose que j’aimais faire, une passion. Courir, pouvoir me canaliser sur un objectif commun avec toute une équipe… Ça m’aidait beaucoup. Surtout que j’étais quelqu’un qui avait besoin de se dépenser. J’étais un peu une enfant compliquée, que ce soit à la maison ou en cours. Je pense que j’avais beaucoup de frustrations, et le foot me permettait de me défouler. Je voyais les joueurs pro et je rêvais un peu : j’admirais tout simplement la beauté du jeu. Je me disais que, peut-être un jour, ça pourrait être moi.

Je ne voyais pas vraiment de filles faire du foot au niveau professionnel, et encore moins dans mon entourage. Je pense que je me sentais fière de cette faible représentation. Ça ne me dérangeait pas d’être la seule fille qui jouait au foot dans la cour de récré. J’ai demandé à mon père de m’inscrire dans un club, parce que je voulais évoluer. Il m’a dit non, que le foot c’est pour les garçons et que surtout je n’avais pas le physique pour ça. Ça m’a un peu démotivée, mais je suis restée dans le même état d’esprit : un jour, ça serait moi qui passerai à la télé.

Footballeuse en jogging, prête à dribbler

J’ai déménagé au Portugal trois ans après et j’ai rencontré une fille au collège qui, elle aussi, jouait et était passionnée. C’est très vite devenu une amie très proche. Ça m’a vachement remotivée et j’ai insisté auprès de mon père pour qu’il m’inscrive dans un club. Au bout de quelques mois de persistance, il m’a dit oui, à une condition : je devais réussir à gérer les études et le foot. Tant que j’avais de bonnes notes, je pouvais y aller. Je pense qu’il a compris que c’était une passion qui m’aidait à me canaliser.

C’est là que tout a changé pour moi : mon groupe d’amis et mon style vestimentaire. J’ai commencé à m’habiller un peu « à la garçon manqué ». Mes vêtements étaient très masculins : je suis passée de petite robe, petite jupe à gros jogging quasiment tous les jours. Petit à petit, ça me dérangeait de mettre des robes. Même si beaucoup de footeuses savent rester féminines, moi c’était vraiment devenu mon style. Je me sentais beaucoup plus à l’aise. Puis, comme je jouais au foot presque tout le temps, c’était beaucoup plus pratique.

Ma famille a eu encore plus de mal à accepter ce changement vestimentaire que mon goût pour le foot. Je me prenais des réflexions tous les jours à cause de ça, surtout à la maison. J’avais droit à mes tantes qui me disaient que je devrais carrément changer de sexe. Ou même à mon propre père, qui me disait que j’étais une honte et qu’il était gêné de sortir avec moi habillée comme ça. Leurs réflexions ont duré quatre ans, mais je continuais. Je voulais surtout leur faire comprendre que c’était comme ça que je me sentais à l’aise.

Shooter les stéréotypes sexistes

Déjà qu’à la maison c’était compliqué, bah au club aussi. Je n’avais pas le droit à mon vestiaire. Vu que j’étais une fille, j’étais obligée d’attendre que tous les garçons finissent, pour pouvoir enfin aller me changer. L’entraîneur ne me laissait jouer que dix minutes à chaque match. Et encore, c’était parce qu’il était obligé vu que j’avais payé ma licence. C’est lui-même qui me l’a dit lors d’un entraînement.

SÉRIE – Niyah, Evelyne, Binta et Olivia sont footballeuses, et elles ont du se battre pour pouvoir pratiquer ce sport.

Capture d'écran de la série "Footballeuses : encore loin du but" publié sur le site de la Zep le 6 juillet 2022. Photographie prise derrière le filet du but. Au centre de l'image, une jeune footballeuse noire, maillot orange nouée au dessus du nombril, les bras levée prête à tirer dans le ballon.

Mais j’ai eu la chance d’être tombée sur un bon groupe de garçons de mon club. Ils m’ont toujours soutenue et aidée, même pour les déplacements. C’étaient leurs parents qui me déposaient au stade et qui me ramenaient à la maison. Ils m’encourageaient toujours à mieux faire pendant les matchs, j’ai jamais entendu un mot de travers de leur part. Beaucoup de fois, ils m’ont défendue face à l’entraîneur. Quand il me laissait pratiquement tout le match sur le banc, les garçons demandaient à sortir pour que je puisse rentrer et jouer. Ou même dans les vestiaires, ils me laissaient me changer la première. Avec du recul, je pense qu’ils me considéraient comme leur petite sœur. Leur objectif était de me protéger.

Petit à petit, mon père a compris que je ne vivais que pour le foot, que je ne pensais qu’à ça, et surtout que je me sentais bien habillée comme ça. Aujourd’hui, je suis éducatrice et joueuse au club de Rambouillet. Ma famille, mais surtout mon père sont les premiers à crier sur tous les toits que je joue au foot. Ils viennent me voir, m’encouragent à continuer et, surtout, ils m’acceptent. Ils ont enfin compris que c’était sur un terrain de foot que je me sentais bien et apaisée. Je suis fière de moi, de ne pas avoir lâché. Mais aussi d’eux, qu’ils aient réussi à changer leur manière de voir les choses. Le foot, c’est mon identité sportive et vestimentaire.

Lara, 18 ans, lycéenne, Rambouillet

Crédit photo Unsplash // CC Nelson Ndongala

 

 

Le savais-tu ?

La première équipe de France féminine de foot a été créée en 1919. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy interdit ce sport aux femmes. Résultat : ce n’est qu’en 1969 que des joueuses réussiront à nouveau à constituer une équipe nationale.

Il n’existe pas de championnat professionnel dans le foot féminin. L’équipe de France féminine joue en Division 1, un championnat qui n’est pas reconnu comme professionnel, contrairement à la Ligue 1 des hommes.

Les joueuses de D1 sont, en moyenne, payées 2 494 euros par mois contre 108 422 euros pour les footballeurs de L1. Comme elles ne sont pas reconnues comme professionnelles, les joueuses sont obligées d’accepter des contrats amateurs ou semi-professionnels… et la précarité que ces statuts entraînent. Elles sont moins couvertes que les hommes, et beaucoup doivent travailler à côté de leur carrière dans le foot pour compléter leurs revenus.

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