« Ma fille, elle, ne subira pas de mariage forcé »
Je suis née en Guinée dans la capitale, à Conakry. Je suis allée à l’école de 3 à 6 ans. Ma mère est morte en couche alors qu’elle était enceinte de son cinquième enfant. Je suis l’aînée. Mon père avait une autre épouse et tous les deux ne m’aimaient pas. Ils voulaient se débarrasser de moi. Ils ont d’abord décidé de me retirer de l’école. Pendant dix ans, alors que mes demi-frères et sœurs allaient étudier, je restais à la maison pour faire le ménage ou j’accompagnais ma belle-mère sur les marchés pour vendre des fruits.
Un jour, ils m’ont annoncé qu’ils m’avaient trouvé un mari. J’avais 16 ans. Je rêvais d’étudier. Je n’avais jamais vu cet homme. Je ne l’aimais pas. Je ne l’avais pas choisi. Et pourtant, il m’a fallu me résigner à ce mariage forcé. Ma tante, la sœur de ma mère, a essayé de s’opposer à cette union, mais mon père n’a rien voulu savoir.
Le mariage a eu lieu à la mosquée, à Conakry. Je portais une robe traditionnelle, mais ma mère étant morte, personne n’était là pour me maquiller, pour me coiffer, comme le veut la tradition.
Maltraitances, violences et abus
Après, il a fallu partir m’installer dans le village de mon mari. Là-bas, je ne connaissais personne. Je ne parlais même pas la même langue. Je parle le soussou, mais dans ce village tout le monde parle le malinké. J’y ai passé trois ans à être victime de maltraitances, de violences et d’abus. Quand je suis tombée enceinte, j’ai décidé de partir.
J’ai demandé à une copine de me donner une petite somme d’argent. J’ai pris la route seule avec mon bébé dans le ventre. Je suis passé par le Mali, par l’Algérie. Mais je me suis vite retrouvée à court d’argent. J’ai alors croisé un groupe qui partait pour la Tunisie. Je me suis approchée et j’ai expliqué que je n’avais pas mangé depuis deux jours. Il y avait des Maliens, des Ivoiriens, des Guinéens, des femmes, des hommes, des enfants.
Ils m’ont aidée, mais on a rencontré beaucoup de maltraitances sur la route. On nous volait nos téléphones, on nous menaçait de mort si on ne payait pas. En Tunisie, j’ai trouvé un peu de travail. Mais je n’avais pas assez pour manger et payer le loyer.
Je me suis fait une amie. Elle m’a dit que si on avait le courage, on irait prendre le bateau pour partir en France. J’ai pris un petit bateau qui a fait la traversée pendant trois jours. On était 28 dessus. On est arrivés à Lampedusa. On m’a envoyée à Bari, dans le sud de l’Italie. J’étais fatiguée, je ne comprenais pas l’italien. Après deux semaines dans cette ville, j’ai trouvé un groupe et je suis partie pour la France en train. Je suis arrivée à Marseille. Une association m’a prise en charge. J’avais 20 ans et j’étais enceinte de quatre mois.
Ni excision ni mariage forcé
Ma fille adorée est née à Marseille le 10 octobre 2022. Nous vivons sans famille mais je suis heureuse de vivre avec elle ici. Je l’emmène à la crèche. Elle est belle. Elle est souriante. Elle me permet d’oublier mon passé. C’est l’avenir, ma fille. Je ne veux pas qu’elle ait la même vie que moi. Je vais la protéger pour qu’elle ne subisse pas ce que j’ai subi. Je ne veux pas qu’elle subisse d’excision ou de mariage forcé. Je veux qu’elle étudie pour qu’elle puisse devenir ce qu’elle veut. J’ai 22 ans et j’ai beaucoup de courage.
Je voudrais trouver un compagnon qui m’aime sans torture et sans maltraitance, d’un amour sincère. Je voudrais reprendre mes études aussi. Mon projet, c’est de devenir conductrice de bus. Il faut que je passe le permis A et B. Ça va prendre du temps. En attendant, je vais travailler dans une boutique.
Je ne regrette pas d’être venue. Je serais morte des maltraitances. La traversée était très dure, mais je ne voulais pas de ce mariage, de cet homme que je ne connaissais pas. Aujourd’hui, je suis libre. Et fière de ce que j’ai fait pour moi et pour ma fille.
Aïcha, 22 ans, en recherche d’emploi, Salon-de-Provence
Crédit photo Pexels // CC William Fortunato
À lire aussi…
Après la violence conjugale, la violence judiciaire, par Rose, 21 ans. En plus de la maltraitance de son ex-copain, elle a dû faire face à la violence judiciaire dès l’adolescence.