« Mais tu veux devenir Rachida Dati ou quoi ? »
« Sciences Po, la prépa, la fac, que choisir ? » Les possibilités défilent dans ma tête : bonne à l’école, engagée dans l’associatif, j’envisage de faire de longues études. « T’es bien drôle d’y penser seule dans ton coin, mais au bout d’un moment il va bien falloir le dire à tes parents ! » Cela me trotte dans la tête depuis un moment.
C’est le moment. Maman est dans la cuisine, prête à écouter. Je m’avance et lui lance : « Maman je sais ce que je veux étudier, il y a cette école, tu sais, Sciences Po… » Ses yeux deviennent tout petits et plissés. La ride du lion creuse son front. Sa bouche se tord. Elle doit se demander : « Qu’est-ce qu’elle raconte ? »
« Sciences politiques, mais tu veux devenir Rachida Dati ou quoi ? » J’éclate de rire, mais je comprends vite dans ses petits yeux sérieux qu’elle s’inquiète réellement. À ses yeux, Rachida Dati est un réel modèle de réussite, une femme racisée qui a réussi à s’élever dans la société. Ma mère se pose des questions sur la condition de femme maghrébine et voilée en France.
« Ça fait trois handicaps », comme le dit si bien ma cousine. Être une femme, c’est travailler autant qu’un homme et être payée moins, faire beaucoup d’efforts pour ne pas être reconnue et mise de côté. On est bloquée par le « plafond de verre », une barrière imaginaire qui empêche l’avancée dans une profession, qui affecte surtout les femmes et les membres de communautés minoritaires.
« Ils me poussent à continuer à croire en moi »
Ma mère a toujours voulu être médecin, depuis toute petite c’était sa vocation. Mes parents sont nés en Algérie, voir leur fille réussir est très important pour eux. Ils sont venus ici pour offrir à leurs enfants une meilleure vie. Mon père est arrivé en France quand il n’avait qu’une dizaine d’années et il n’a pas, ou très peu, continué ses études par la suite. Ma mère l’a rejoint en 2005 après leur union. C’est là que je suis arrivée, suivie de mes deux frères et de ma sœur.
Maman me parlait souvent des conditions difficiles dans lesquelles elle devait travailler quand elle était élève. Elle me racontait que les fournitures se faisaient rares, qu’elle devait partager un unique cahier pour toutes les matières, faute de moyens.
Après son bac, mon grand-père a refusé catégoriquement de la laisser aller à l’université, loin de leur petite ville. Ses rêves se sont écroulés et elle les a projetés sur moi. Toutefois, ma mère est devenue une des meilleures professeures de langue arabe, appréciée de tous ses élèves.
Mariame lutte pour prendre confiance en elle et intégrer une école de commerce, malgré les prix exorbitants des prépas.
Mes parents m’ont toujours soutenue, quel que soit le choix que j’ai pu faire. Je comprends leurs inquiétudes car elles sont aussi miennes, ce serait mentir que de dire que je suis sereine. Malgré toutes leurs appréhensions, ils m’ont toujours encouragée à viser plus grand et quand moi je suis bloquée par le stress, ils me poussent à continuer à croire en moi.
Je suis consciente que mon voile peut être un frein, que ça peut me mettre en difficulté, mais ce n’est pas une raison pour que je reste cloîtrée chez moi et pour que je renonce à mon besoin d’épanouissement intellectuel !
Caesa, 17 ans, lycéenne, Cergy
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