Un CDI de « petite maman »
« Muñel so magee mo jeex. » J’entends ce dicton wolof depuis mes 8 ans. Il signifie : « Quand tu grandiras, ça finira. » Ma mère, mes tantes – les sœurs de ma mère – et même mes copines me disent ça. C’est une phrase que l’on dit au Sénégal à toutes les personnes dans une situation compliquée. Quand je n’avais pas de moyens pour m’en sortir, c’était dur d’entendre ça.
En 2008, ma mère et moi avons vécu de dures épreuves. Du rejet familial aux problèmes de logement, jusqu’à vivre dans la rue. À mon plus jeune âge, j’avais déjà compris que la vie ne me ferait pas de cadeau. Que je serais obligée d’être là pour ma mère. J’avais l’impression d’avoir la tête sous l’eau, le cœur serré, pour ne pas dire en miettes. Malgré toutes ces épreuves, ma mère est et sera toujours mon modèle pour son courage. Elle n’a jamais abandonné.
Il y a quinze ans, un rayon de soleil est tout de même arrivé dans nos vies. Un petit garçon avec une tête d’ange : mon frère, Darell. Sa venue au monde a été merveilleuse parce qu’en 2008, ma mère avait perdu un bébé prématuré. Ma sœur, qui n’a vécu que trois mois.
Grande sœur et deuxième mère
Un an plus tard, ce fut le moment pour ma mère de reprendre le travail. C’est à ce moment-là que j’ai commencé mon CDI de « petite maman ». Au début, je le faisais avec plaisir, je me disais que ma mère avait besoin que je la soutienne.
J’en ai tellement fait : entrée de crèche, sortie de crèche, rentrée d’école, sortie d’école… C’était devenu ma routine. Mais très vite, je me suis retrouvée à oublier d’être une enfant, une adolescente et une adulte. Je me suis dit que je passais à côté de ma jeunesse. Par exemple, je ne pouvais pas, comme mes camarades à la fin des cours, traîner un peu, discuter avec les autres élèves.
Pour être la « petite maman », j’ai sacrifié des heures de cours au collège pour garder mon frère malade, parce que ma mère ne pouvait pas se permettre de ne pas aller au travail. Pourtant, j’aimais être au collège, c’était ma seule échappatoire. Il n’y avait qu’à l’école et quand ma mère rentrait du travail que je redevenais un « enfant normal ». Pour moi, cela voulait dire aller au basket, sortir seule au jardin ou même me mettre dans mon coin et écouter de la musique. Ces moments me permettaient de lâcher prise, de ne penser qu’au moment présent.
Non, je ne regrette rien
Au fil du temps, je suis devenue blasée. Je suis une personne qui ne s’exprime pas sur ce qui la dérange, alors ma mère pensait que je boudais tout simplement. Je préférais intérioriser pour ne pas la blesser. Maintenant, on en parle de plus en plus. Elle m’écoute et me comprend, même si elle m’en a voulu de ne lui avoir rien dit. Elle fait désormais beaucoup d’efforts et veille à chaque fois à me demander si une situation me plaît ou pas. Elle essaie aussi de me pousser à sortir, à faire de nouvelles rencontres.
Si un jour, je devenais maman, je pense qu’au niveau éducation, je ferais comme ma mère. Elle nous a toujours donné un amour inconditionnel malgré ses traumatismes. Elle a fait de nous des enfants éduqués. La seule chose que je changerais, c’est de faire attention au bien-être de mes futurs enfants. Je leur demanderais constamment s’ils vont bien, si une situation leur plaît ou les met mal à l’aise.
Je n’ai pas de regret. C’est du passé. Et je ne regarde jamais ce qu’il y a derrière moi. À présent, je cherche à me créer un bon avenir et à me construire en tant que femme. Je souhaite reprendre mes études de maquettiste dans le bâtiment afin de pouvoir voyager et finir mon tour du monde. J’ai fait tous les continents sauf l’Asie et l’Amérique du Sud.
Marie-Louise, 22 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Pexels // CC William Fortunato
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J’aurais pu rester à l’école si c’était payé, par Adrien, 16 ans. Il a arrêté l’école pour aider sa mère, en situation de handicap et sans emploi. Volontaire en service civique, il est chargé des courses, des repas et participe aussi au loyer.