Porte de la Chapelle : du crack et de la casse
Chez moi, il y a des crackeurs partout. Je les reconnais à leur dégaine et leur manière de parler. T’en as avec une seule chaussure. T’en as qui marchent en boitant. On dirait des zombies. Dans leurs yeux, tu sens qu’ils n’ont plus d’âme. Il y en a de tous les genres. Des hommes, des femmes enceintes, des chefs d’entreprise, des parents. J’ai déjà discuté avec l’un d’entre eux qui m’a dit qu’il était père de famille. Qu’il avait honte de venir là. Ce genre de scène, c’est devenu hyper banal pour nous, les habitants.
J’habite à Porte de la Chapelle. Ou plutôt Porte de l’Enfer. Comme vous préférez. Si vous avez du mal à vous représenter mon quartier, imaginez un peu la série The Wire. Bah ça, c’est mon quartier.
Parfois, ils viennent m’aborder pour que je leur donne de l’argent, mais je le fais jamais. Par contre, s’ils ont faim, je vais leur chercher un truc à la boulangerie ou dans un supermarché. C’est normal de faire ça. En vrai, c’est des humains, et puis je ne calcule plus maintenant qu’ils sont drogués. Pour moi, c’est mes voisins ces gens-là. Après, je suis toujours un peu sur mes gardes. En tout cas, les voir comme ça, ça m’a fait comprendre les conséquences de cette drogue.
Le crack, une tradition dans le quartier
À un moment pourtant, la police les avait virés du quartier. C’était l’époque où les crackeurs traînaient surtout près du métro Porte de la Chapelle. Je me souviens car il y avait aussi les migrants qui avaient été placés là-bas. Beaucoup d’entre eux sont tombés dans le crack d’ailleurs. On les avait déplacés à Stalingrad et le quartier était redevenu normal. Tu sortais et tu ne voyais plus de clochards dans la rue. C’était différent. Mais là, depuis un an, ils sont revenus et ils se posent en bas de chez moi.
C’est comme une tradition dans ce quartier, le deal de crack. Ou un cercle vicieux, comme vous voulez. Le trafic à Porte de la Chapelle, je l’ai toujours connu. C’était là avant que je sois né et ce sera là après. D’ailleurs, dès que je dis à quelqu’un que j’habite à Porte de la Chapelle, on me répond toujours : « Ah oui, c’est là où il y a les drogués ? » C’est vrai que les gens de passage, quand ils se retrouvent chez moi, leur seul but c’est de quitter cette zone. C’est hyper sale et parfois violent. Une fois, j’ai vu deux mecs se battre avec des schlass en pleine journée. Mais bon, c’est devenu banal pour nous.
Porte de la Chapelle, futurs Champs-Élysées ?
Je vois bien que les pouvoirs publics essaient de changer les choses. Avec les Jeux Olympiques de 2024, ils sont en train de faire plein de travaux. Ils construisent des nouveaux bâtiments, détruisent les anciens.
C’est comme s’ils se réveillaient maintenant sur la réalité du quartier. On dirait qu’ils veulent transformer Porte de la Chapelle pour en faire les Champs-Élysées. Perso, ça me fait rire, car ça ne marchera jamais leur truc. Le problème du crack va rester. On est pas dans le 16e ici, on est dans le 18e. Ce n’est pas le Paris que les gens voient sur internet, c’est le Paris du 93. Ça ne changera pas !
De jour comme de nuit, les consommateurs et consommatrices de crack arpentent les rues de Stalingrad. Leo vit au milieu des bagarres, des vols et de la drogue.
Avec tous les travaux, ils cassent des lieux qui étaient importants pour les gens du quartier. Ils ont détruit le bowling. Détruit le Five où on pouvait jouer au foot [rouvert depuis, ndlr], et la suite on la connaît. Leur objectif, c’est de virer les Noirs et les Arabes du quartier pour y mettre des Blancs. Mais c’est pareil, ça ne marchera jamais car on ne partira pas. Oui, ce n’est pas tous les jours facile de vivre à Porte de la Chapelle, mais c’est mon quartier. J’y suis attaché. Je n’ai pas envie qu’il change et je n’ai pas envie de le quitter.
Jimmy, 17 ans, lycéen, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Hervé Lequeux – Dans le nord de Paris, le quartier de Stalingrad est confronté a une recrudescence de consommation de crack. Parc Éole, Paris, 13 mai 2021.
La colline du crack
La crise du crack à Paris ne date pas d’hier : les dealeurs et client·es se retrouvaient déjà dans le quartier de Stalingrad dans les années 90. Au fil des expulsions, le trafic s’est déplacé porte de la Chapelle.
Aujourd’hui, des centaines de femmes et d’hommes y vivent sous des tentes, et le trafic de drogues se mêle au trafic d’êtres humains. Les dealeurs profitent de la vulnérabilité des sans-abris pour créer une addiction au crack, en leur proposant des doses gratuites.
Camille Courcy, journaliste à Brut, a rencontré des habitant·es de la colline du crack pour une super série documentaire.