2/2 Je dois quitter le territoire français
Je suis arrivée en France à 16 ans, sans papiers mais avec un bac scientifique en poche. Sans même tester mon niveau, les conseillers m’ont directement orientée vers une formation d’aide-soignante. Sans me demander ce dont j’avais envie. Ils m’ont dit que mon bac béninois n’avait aucune valeur ici.
Pendant que j’essayais de passer le « vrai » bac S en six mois, j’ai voulu m’intégrer dans ma classe de terminale. Mais je crois que j’avais besoin de temps pour maîtriser les codes de la vie sociale française. Évidemment, personne n’avait les mêmes intérêts et références que moi.
En plus, la puberté m’a heurtée tardivement en me rajoutant 30 kilos de mal-être. Comment entrer dans un nouveau moule quand je ne reconnais même plus celui qu’est mon propre corps ?
J’ai construit petit à petit un masque pour combler mon éternel sentiment d’infériorité. J’ai tout de même, malgré le rush, obtenu le bac avec mention. Étant encore mineure avec une demande d’asile en cours, j’ai pu intégrer une première année de médecine dans une grande ville.
Admise en deuxième année
J’ai passé une année en plein Covid dans une pièce de 25 m² avec quatre personnes, dans un centre pour demandeurs d’asile. Entre la paperasse que je devais faire en tant que fille aînée d’une famille monoparentale de quatre personnes (demande d’aide médicale d’État, dossier de demande d’asile, rendez-vous stressants chez l’avocat, réunions de parents d’élèves dans les écoles de mes frères plus jeunes), les rendez-vous administratifs inlassablement stressants et humiliants (préfecture, recours CNDA), le stress de me faire expulser sans délai de ma fac, les journées vides de petits-déjeuners et de déjeuners car en situation de précarité extrême… j’ai quand même été acceptée en deuxième année de pharmacie.
Je pensais que cela donnerait un coup de boost à mon dossier de demande de séjour. Mais tout ce que j’ai récolté après deux baccalauréats, une année de médecine et une admission en deuxième année à 18 ans est une OQTF. Prétexte : « non intégration sociale »… Après tout, je suppose que ce n’est pas mon pays, je ne suis pas chez moi. Mes frères étant heureusement mineurs et sous la responsabilité légale de ma mère, je suis la seule à avoir reçu cet arrêté d’expulsion.
Mon masque a commencé à s’effriter
Mon masque de l’immigrée parfaite a commencé à entrer en collision avec ma vraie personnalité. En vrai, je suis quelqu’un de spontané, à fleur de peau et qui a besoin d’être transparente de vérité et d’émotion. Mais j’exigeais de moi de jouer le jeu, d’être « sérieuse », presque élitiste, de ne pas être honnête parce qu’il ne faut surtout pas montrer ses faiblesses et ses difficultés – et oh Dieu que j’en ai des difficultés, de prouver pourquoi je mérite ma place.
J’ai commencé à développer une sorte de double personnalité pour me fondre dans ces deux décors. Un jour, je pouvais prétendre avoir le même train de vie que ceux qui m’entouraient à la bibliothèque, mais je savais que le lendemain à 6 heures pétantes je devrais me rendre aux Restos du Cœur. Entre ma fac remplie de fils de hauts cadres et mon centre de demandeurs d’asile où ça parle aide alimentaire, expulsion, et chambres sujettes aux moisissures, je commençais à ressentir un peu trop l’écart social.
Je suis une anomalie
Je ne savais plus qui j’étais : une fille qui fait des études ou la fille sans-papiers ? Un jour, j’ai réussi à obtenir un rendez-vous chez un psychologue pour discuter de ma situation. Mais il était plus intéressé par le fait que j’ai pu intégrer une fac en étant sans-papiers que par ma problématique : c’est la première fois que je me suis rendu compte brutalement du fait que mes études avaient plus d’importance que ma propre personne.
Je suis une femme noire, étrangère, qui fait des études et qui est sans-papiers : j’ai tous les jours l’impression d’être une anomalie en manque de repère.
Si avant, je me sentais inférieure par rapport à mes camarades de classe, je me sens aujourd’hui totalement dissociée d’eux. Car être sans-papiers est un lourd handicap social qui, à force de stéréotypes, de préjugés, de peur, d’insécurité et d’instabilité mène irrémédiablement à l’isolement. J’enchaîne assez d’humiliations quotidiennes pour accepter encore celle d’être prise en pitié par mes pairs à la fac, donc je m’autocensure, me limite au minimum de dialogue, ferme les portes d’entrée dans ma vie.
De la survie constante
En dehors des cours, je ne sors pas, car je manque de confiance en moi. J’ai aussi peur car, étant une femme, si j’en viens à être agressée ou dans une situation délicate, je ne pourrai pas aller à la police de peur d’être expulsée. C’est de la survie constante.
Après deux ans à vouloir tout gérer, à vouloir coûte que coûte me tracer un chemin, j’ai fini par me perdre. Parce que c’est un labyrinthe sans fin, un cercle vicieux : on exige de nous pour un bon dossier et des papiers réguliers de faire des études ou une formation, d’avoir des notes excellentes, des appréciations excellentes, un travail régulier mais, en même temps, on a besoin de ces papiers pour aller à la fac, pour avoir un travail. Comment être excellent quand on n’a pas à manger, quand on est à la rue ou quand on passe d’hôtel en hôtel dans le système du 115 ?
Là, j’ai redoublé ma troisième année. On m’a dit que cela mettait une grosse tâche sur ma preuve de bonne intégration, et évidemment sur la qualité de mon dossier. De quoi tomber en dépression, tout ça.
Une petite lueur d’espoir
Pour ne pas imploser, j’ai décidé de creuser au fond de moi pour trouver qui j’étais. Ça m’a fait redoubler, mais je suis mieux mentalement. J’écris beaucoup, je fais de la photo ; je me réconcilie avec la créativité que j’ai perdue dans cette course qui a fini par me déprimer. Je me nourris de mes rêves d’indépendance et de paix intérieure.
Depuis deux ans, j’ai des problèmes de logement, pas de job puisqu’encore une fois je suis sans-papiers, donc pas d’argent, pas de relations, mais je m’estime tout de même chanceuse.
Je parle le français depuis toujours. Je n’ai pas eu à prendre la mer et à être traumatisée de cette expérience, je n’ai pas eu à apprendre la langue tardivement. Ma mère fait de son mieux pour me nourrir, et j’ai rencontré une professeur pendant mon année de terminale qui est littéralement le rayon de soleil de ma vie. Elle me soutient au-delà des mots, autant financièrement que moralement. Je ne peux qu’être extrêmement reconnaissante d’avoir rencontré une deuxième mère. J’aurai un doctorat si j’arrive à terminer mes études : j’ai une lueur d’espoir. Mais les personnes plus âgées que moi, ma mère par exemple, n’ont pas ce genre de confiance en l’avenir.
Nastou, 20 ans, étudiante, Marseille
Crédit photo Pexels // CC Serap Ezgi
Sans papiers, pas de stabilité
À leur majorité, sous certaines conditions, les migrant·es installé·es en France peuvent demander un titre de séjour pour rester. De plus en plus systématiquement, elles et ils se voient délivrer une OQTF (obligation de quitter le territoire français). En 2020, l’État français en a prononcé 108 000.
L’affaire Laye Fodé Traoré
Une affaire a fait beaucoup de bruit : celle d’un jeune Guinéen, Laye Fodé Traoré, apprenti-boulanger à Besançon. En 2021, après deux ans passés en France, il a reçu une OQTF. Son maître d’apprentissage s’est mis en grève de la faim et a lancé une pétition, recueillant plus de 220 000 signatures : le jeune apprenti a fini par être régularisé.
Accueillir ou expulser
Deux visions s’opposent dans le débat public. Certain·es pensent que trop de régularisations inciteraient les migrant·es à débarquer en masse. D’autres voient la régularisation comme un devoir éthique, dans la mesure où elle permet d’acquérir des droits : étudier, travailler, se faire soigner… Une position défendue notamment par la philosophe Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme.
J’ai le même problème depuis 5ans Demi j’ai pas de papier je travaille pas jsuis dans Qtf
Merci pour la compréhension