16 heures au KFC, 30 heures de cours
Rentrée 2021, signe de grands changements pour ma part : je change de région, je ne vis plus avec ma famille proche et je reprends des études après deux ans à être dans la vie professionnelle.
Ce qui est compliqué lorsque l’on essaie de devenir indépendante en étant étudiante, c’est que l’on doit travailler. Les aides (bourse du Crous) ne suffisent pas forcément pour pouvoir payer les études, un loyer, se nourrir. Surtout lorsqu’on ne peut pas vivre éternellement à droite à gauche. Le problème, c’est de trouver un job.
J’ai déposé mes CV et lettres de motivation dès septembre, partout, dans la restauration rapide et autres. Alors que j’avais déjà une expérience dans ce domaine, je n’ai pu trouver un travail qu’en décembre. Il m’a fallu quatre mois. Parce qu’il y a beaucoup d’étudiants qui cherchent à travailler et pas assez d’offres. Aussi car les employeurs demandent beaucoup de temps libre (dans la semaine ou le midi). Moi, j’ai seulement du temps libre le week-end, donc c’est compliqué.
Un entretien sous tension pour un travail au KFC
Le stress lors de mon entretien d’embauche fût énorme. Vous devez trouver ça ridicule, mais ce job représente beaucoup pour moi. Le manager m’a énormément mis la pression par rapport aux plages horaires pendant lesquelles je peux travailler, et vis-à-vis des supérieurs. Il m’a dit que j’aurais un second entretien, cette fois-ci avec le bras-droit du directeur, et que lui serait beaucoup plus exigeant. Et il a eu raison !
Déjà j’arrive, je vois quelqu’un en costard-cravate. Le stress monte encore plus, je bégaie quand je lui dis bonjour (et même après) et mes mains tremblent.
Lors de cet entretien, il me pose des questions assez surprenantes genre « des vraies questions » qu’on pose lors d’un vrai entretien, pas pour travailler dans un fast-food. Je lui réponds du mieux que je peux et me débrouille pas mal. Il me dit direct que mon profil l’intéresse, qu’il attend beaucoup de moi au vu de mon expérience en fast-food et qu’il allait bien « me surveiller ».
Je sais ce que je sais faire, mais à ce moment-là, je me dis : « Wow je dois vraiment prouver pour pouvoir garder ma place. » Moi qui pensais qu’avec mon expérience on allait être moins sur mon dos et qu’on allait me laisser tranquille… et ben j’avais tout faux.
Toujours pas d’appartement à soi
Le côté positif, c’est que j’ai enfin pu décrocher un job (alléluia !). Bon, ce n’est pas un travail de ouf, je travaille à KFC. Mais c’est ultra fatigant. En ayant un contrat de seize heures pour trois jours de travail (vendredi, samedi et dimanche) + les vingt-huit heures de cours par semaine (voire plus avec les devoirs sur table), il y a de quoi décrocher et faire un burnout, mais je tiens bon.
Heureuse, je me dis que je vais enfin pouvoir avoir un appartement pour moi toute seule. Enfin du moins, c’est ce que je croyais. Entre les prix des logements étudiants qui sont chers et le manque de disponibilité, je finis par vivre dans une chambre chez une dame. La déception…
Je paie 436 euros de loyer pour une chambre, sachant que si je veux faire une machine à laver c’est huit euros en plus par machine (sans le séchage évidemment), et tout cela en partageant une salle de bain avec deux autres gars qui sont mes colocs. Le pire dans tout ça, c’est que la salle de bain ne ferme pas à clé et que, juste à côté de la douche, il y a la chambre d’un de mes deux colocs. À tout moment, on peut me voir prendre ma douche. À cause de ça, je la prends hyper tard, quand ils dorment.
Pour le ménage, les produits et outils sont à notre disposition, donc on peut laver notre chambre quand on veut. Par contre pour la salle de bain et les toilettes, ça se fait par roulement, tous les week-ends. Aussi, je n’ai pas le droit d’inviter des personnes dans ma chambre. Je dois manger que dans ma chambre et, si je rentre tard, je dois prévenir. Sinon, elle est gentille et on s’entend bien.
Des week-ends de rush et d’horaires décalés
Ceux qui ont déjà travaillé en restauration savent ce que c’est d’avoir des horaires atypiques. Ne travailler que pendant les heures de rush, c’est mon truc oui. Ils aiment bien me mettre à travailler le midi pendant trois, quatre heures et avoir une pause de deux heures l’après-midi, où je ne fais rien et je ne peux même pas rentrer chez moi. Puis, reprendre jusqu’à 21 h 30, voire même faire la fermeture (23 h 15), sachant que c’est toute une organisation pour rentrer.
Le week-end, il n’y a pas autant de bus que la semaine, donc j’ai pris une grande décision. Je me suis achetée une trottinette électrique en plein hiver. Avec la pluie qui fait glisser les routes et le froid, mais je n’ai pas eu le choix. C’était soit ça, soit rentrer à pieds, donc le choix était vite fait. J’avoue que j’ai déjà fait un « mini accident ». Je suis tombée sur la route en rentrant. Des voitures s’étaient arrêtés pour voir si j’allais bien et, heureusement, je n’ai rien eu.
Côté vie sociale ou privée, je n’ai pas le temps de sortir. En vérité, je ne sors jamais. On m’a déjà proposé de faire des soirées sur Paris et tout, mais je ne peux pas. Cela pousse un peu à m’isoler du coup, et être un peu seule. Pour l’instant, je le vis bien. Même si j’aimerais trop avoir du temps libre pour mon copain ou mes amies, il faut bien gagner sa vie…
Multi-tâches, même un peu trop
La relation avec mes collègues est plutôt cool, on est tous jeunes et on rit pas mal. Je fais un peu de tout, que ça soit du service à table, de l’encaissement, de la prise de commande, ou des frites, boissons, préparation de commandes… Je suis multi-tâches, même un peu trop des fois. Étonnamment, ce que je fais le plus c’est du ménage, avec les produits bien chimiques qui font tousser. Je fais surtout le nettoyage de tables, avec la tonne de tables qu’il y a. Laver le sol aussi, ou changer les poubelles remplies à ras bord…
Il n’y a pas longtemps, un de mes supérieurs (celui qui a fait l’entretien) est venu voir comment on faisait notre travail. C’était un samedi, et le samedi quand il fait beau, c’est ingérable le nombre de clients qu’il y a. Lors d’un rush l’après-midi, on était que deux personnes devant. La salle était remplie de monde et le Drive pareil. Les commandes étaient à plus de dix minutes d’attente.
Il y avait ma collègue et moi qui essayions de faire comme on pouvait pour être rapides et servir les clients. Et d’un autre côté, il y avait mon supérieur, bras croisés, qui nous hurlait dessus (‘fin surtout sur moi, qui suis déjà hyper anxieuse). J’étais en pleine angoisse quand je servais les plateaux (ma voix était tremblante et tout). Certains clients le voyaient et me souriaient en me disant bon courage. J’essayais de me calmer, et là, lorsque le rush était fini, on a demandé à me voir.
La goutte d’eau
C’était le bras droit du directeur. Celui qui ne faisait rien en plein rush osait venir me faire des reproches. Il employait des mots durs, voulait me piquer là où ça faisait mal et moi qui étais déjà stressée du rush, j’ai craqué et pleuré. Je ne savais même pas pourquoi, je n’arrivais pas à me contrôler. Faut savoir que je ne pleure jamais de base. La pression, je connais. J’ai travaillé au McDo, c’est dix fois pire que KFC. Mais là, c’était trop. L’accumulation de fatigue, plus la pression du travail, plus les cours… je n’en pouvais plus.
Arthur a lui aussi travaillé dans un fast-food pour financer ses études. Il a été révolté par les comportements des client·e·s et le mépris de classe. Un épisode de notre série sur les conditions de travail dans la restauration.
La semaine est passée. J’ai bien réfléchi et j’ai décidé de réduire mon contrat en passant de seize à douze heures par semaine. Ça va être galère côté argent, mais ma santé mentale passe avant tout.
En résumé, j’ai fait plein d’activités différentes mais en étant toujours aussi mal payée. Parler d’argent ne me dérange pas : 500 euros environ par mois, en faisant seize heures voire plus par semaine, ce n’est pas beaucoup. Si le mot « exploiter » avait une définition, ça serait fast-food.
Louise, 23 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Marcel Heil
Le 1er Mai : fête du Travail ou fête des Travailleurs et Travailleuses ?
La fête du Travail ne s’est pas toujours appelée comme ça. À l’origine, il s’agit d’une journée de mobilisation en mémoire des grévistes réprimés lors du massacre de Haymarket Square en 1886. Les ouvriers sont tués, blessés et arrêtés alors qu’ils demandent la journée de huit heures dans leur usine de Chicago. Depuis, le mouvement ouvrier a connu d’autres 1er Mai sanglants, y compris en France, lors du massacre de Fourmies en 1891 où la police tue dix personnes.
Il faut attendre l’Occupation pour que le 1er Mai devienne un jour férié. Le maréchal Pétain transforme la fête des Travailleurs en « fête du Travail et de la concorde nationale », ce qui lui permet de faire oublier ses origines anarchistes et socialistes.
Aujourd’hui, le 1er Mai reste une journée de mobilisation importante dans plusieurs pays. En France, elle est l’occasion pour les militant·es de gauche de se réunir dans de grandes manifestations. En 2022, la fête s’annonce mouvementée, une semaine après la réélection d’Emmanuel Macron.