Temi F. 04/07/2023

Des gens rêvent de Paris, moi je rêve de rentrer

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Temi a quitté sa campagne ghanéenne à 13 ans pour venir en ville, à Paris. Elle ne s’y est jamais habituée.

La femme qui m’a élevée avait un grand terrain partagé en plusieurs parties. Elle avait un jardin de bananes, d’ananas, de tomates, de maïs, de mangues et d’oranges aussi. On en mangeait et elle en vendait pour subvenir à nos besoins. On avait plein de vaches aussi. Notre lait venait du bétail.

On habitait au Ghana, en Afrique de l’Ouest, à la sortie d’un village, isolées des autres. On n’était que toutes les deux. Elle et moi. J’étais très petite. J’allais à l’école, je jouais avec les autres enfants quand j’avais envie. Quand j’avais besoin d’être seule, je retournais chez moi. Sa présence à elle ne me dérangeait pas.

Puis, je suis arrivée en France en 2012, à 13 ans. Elle est restée là-bas et je ne l’ai jamais revue, parce que j’ai eu mon titre de séjour quelques mois après son décès. Cette solitude me manque, le fait d’être isolée des autres. Je veux retrouver cette vie que j’avais avant, puis faire de l’agriculture et du commerce comme elle faisait. Il y a des gens qui rêvent de venir à Paris, alors que moi je rêve de rentrer.

De la nature aux pots d’échappement

C’était tout vert là-bas. Tout était naturel, on vivait dans la nature. Partout où t’allais, il y avait des fruits, des légumes, des animaux, du bétail. Ici, rien à voir. Il y a beaucoup trop de monde. Ça va trop vite, tu ne vis pas. Tout ce que t’entends, ce sont des bruits de voitures. Tu as du mal à respirer tellement l’air est pollué, c’est incroyable. Alors que là-bas, tu sais que tu es en vie. Enfin pour moi.

Il y avait aussi beaucoup de partage. Mon père m’avait offert un vélo et je pense que tous les enfants du village l’ont conduit. C’était chacun son tour. Même moi, la propriétaire du vélo, j’attendais mon tour. Ça ne me dérangeait pas. En fait, tu te sentais en connexion avec les gens. Ici, quand t’as une discussion, la personne est sur son téléphone. Quand tu poses une question à quelqu’un dans la rue, elle ne te calcule pas… Même quand tu essaies d’être gentille, ils sont réticents. Ou si tu es trop gentille, tu passes pour une hypocrite. La méchanceté ici, c’est normal.

Forcée à être comme les autres

Quand je suis arrivée à Paris, je crois que j’ai eu un choc culturel ou je ne sais pas quoi. J’ai arrêté d’être moi. Tout ce que je fais, j’ai l’impression que je suis obligée de le faire, ça ne fait que prendre mon énergie et je n’en peux plus. J’ai l’impression que c’est difficile de se développer dans ce pays. Il y a toujours des inconvénients ou des choses qui bloquent.

J’ai changé sans m’en rendre compte. Quand j’étais enfant avec cette femme, je pouvais tout faire, rien n’était impossible à mes yeux. J’étais la meilleure à l’école, à l’école coranique et à l’école française. Je n’avais peur de rien ni personne. Je pouvais tout faire. Je l’aidais dans ses travaux. Maintenant, je n’ai plus cette énergie-là, cette confiance. J’ai l’impression que je ne suis plus cette petite fille. J’aimerais combiner une partie de moi et une partie de celle que j’étais : je veux mon expérience d’aujourd’hui et sa confiance à elle, son énergie, sa force.

Je veux aller en Côte d’Ivoire, acheter un grand terrain, construire une maison, faire de l’agriculture et commercialiser mes produits. Je ne sais pas quoi exactement. En trois ans, j’ai beaucoup réfléchi et c’est le truc que j’arrive le mieux à percevoir, que je peux imaginer sans me fatiguer. Je peux y penser pendant des heures et des heures. Je pense que ça me rendrait très heureuse parce que je retrouverais une partie de moi et de cette femme qui m’a élevée. J’aurais une partie de la vie que j’aurais dû avoir. Je vais me remettre sur la bonne voie.

Temi, 24 ans, étudiante, Paris

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