« Enseigner l’arabe en France est un cauchemar »
Enseigner l’arabe – ma langue maternelle – à des étrangers, c’est mon travail. Pour certains, faire ce travail en France est un rêve. Pour moi, c’est un vrai cauchemar.
Lors de ma première formation en Hexagone, l’un des formateurs nous a fait part de quelques anecdotes. Un prof se serait fait virer parce qu’on pouvait voir, sur une illustration, le minaret d’une mosquée. Un autre aurait eu un avertissement pour avoir oublié de désactiver l’alarme de la prière sur son téléphone.
On nous a aussi dit que les imprimantes étaient vérifiées. Que nos photocopies partiraient à la mairie. Je crois que c’est pour nous faire peur mais le message est clair : on est surveillés. Alors, il faut être très vigilant.
Persona non grata dans les écoles
J’ai eu une directrice qui trouvait toujours des excuses pour que je ne puisse pas utiliser l’imprimante de l’école. Elle me demandait de lui donner mes fiches pour les imprimer depuis son domicile. Ensuite, elle se comportait comme si elle me rendait un grand service, alors qu’elle ne voulait juste pas de cours d’arabe dans son école.
Une autre, que je contactais avant d’intervenir dans son école, m’a carrément dit : « Madame, vous vous trompez, il n’y a pas de cours de ce genre dans mon établissement. Il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais. Allez vérifier auprès de vos supérieurs ! » Elle m’a raccroché au nez.
Je suis prof. Pourtant, je n’ai pas la liberté de choisir comment je vais apprendre la langue arabe à mes élèves. Il faut faire attention aux mots choisis pour apprendre les lettres de l’alphabet. Par exemple, quand je veux apprendre le « sin » (« s » en arabe) je ne peux pas utiliser le mot « masjid » (« mosquée ») parce qu’il relève de la religion musulmane. Alors qu’au Maroc, je l’aurais utilisé car il permet de travailler plusieurs sons.
Une langue qui fait peur
Pour les Français, la langue arabe est synonyme d’islam, voire de « terrorisme ». Je vois bien le regard des gens dans le métro quand je parle au téléphone. Dans le RER, il y a ceux qui changent de compartiment en me voyant et ceux qui préfèrent rester debout au lieu de s’asseoir près de moi. Une fois, alors que je parlais arabe avec ma fille dans la rue, une femme s’est retournée et m’a dit : « Parle encore plus fort. » Moi, je ne veux pas que mes enfants oublient l’arabe. Je veux pouvoir leur parler dans leur langue natale.
Je n’ai pas non plus le droit de porter mon voile dans les écoles, parfois même un bonnet dérange. J’ai été mal informée parce que je ne savais pas que je n’aurais pas le droit. Sinon, je ne serais jamais venue en mission en France.
Il y a quand même un directeur qui était très sympa. Il avait tout le temps un sourire quand il me voyait. Il venait toujours me saluer et me poser des questions sur mes enfants. Il me demandait si j’avais eu ma carte de séjour. Il me souhaitait un bon ramadan, un bon Aïd.
Un jour, je lui ai parlé de la directrice qui ne voulait pas que j’utilise la photocopieuse. Il m’a dit que je pouvais utiliser celle de son école. Les deux sont bretons. Pourtant, ce ne sont vraiment pas les mêmes personnes.
Oum Yaser, 40 ans, enseignante, Saint-Germain-en-Laye
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